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de Saint-Louis de rentrer leurs blés, quand d’autre part elle vit l’Allemagne amasser ses troupes dans le Palatinat et couper les ponts de Kehl, la Suisse put croire que la France attaquerait, et elle resserra les cantonnement des troupes autour de Bâle, qui aurait été, dans ce cas, le point menacé. Après avoir inspecté tous les ponts du Rhin, elle élabora un projet d’instructions pour les défendre ou les détruire au besoin. Elle étudia tous les passages de montagnes qui auraient pu être attaqués, et fit quelques préparatifs pour fortifier le Bruderholz, près de Bâle. Mesures minutieuses, et qui devaient être inutiles, mais d’autant plus importantes à noter ; ce n’est qu’en demeurant l’œil au guet et l’arme au bras qu’on reste libre.

Tout fut étudié à la fois, les télégraphes, les chemins de fer ; on apprit par exemple que les 248 locomotives suisses pouvaient traîner 911 voitures de voyageurs contenant 41,000 places, et 1,769 wagons de marchandises suffisant pour le transport de 11,000 chevaux, sans compter 1,925 voitures de tout genre. En même temps, les troupes étaient exercées, aguerries, elles faisaient bonne garde ; mais cette première corvée dura peu. Hélas ! le mal de l’un fait le bien de l’autre ; nos désastres permirent aux soldats fédéraux de rentrer chez eux. Le bruit du canon s’éloigna bientôt ; l’épée qui menaçait la Suisse alla s’enfoncer dans le cœur de la France. Heureux miliciens du pays neutre ! ils purent retourner dans leur famille et à leur travail. On les licencia ; mais, quoiqu’ils eussent fait leur devoir, on n’eut garde d’exalter leur mérite. Le général Herzog censura bien des parties : l’habillement, l’équipement, l’instruction, la discipline. Il trouva la cavalerie pauvre, le code militaire défectueux, beaucoup de choses sur le papier qui n’existaient que là, beaucoup de soldats qui ne figuraient que sur les cadres, çà et là des landwehrs « dans un état peu rassurant, » enfin « des milliers d’hommes incapables d’endurer les fatigues du service et encombrant les hôpitaux avant qu’un coup de fusil eût été tiré. » En revanche, M. Hans Herzog loua fort les corps d’élite, notamment les carabiniers, qui ajustaient leurs fusils Peabody avec le coup d’œil des antiques montagnards. Malgré les reproches de son chef, l’armée suisse avait fait bonne figure, et le conseil fédéral put s’applaudir de cette première campagne comme d’un succès reconnu. Les belligérant avaient admiré surtout la rapidité avec laquelle ces milices étaient mobilisées. Ces mesures firent bon effet au dehors et au dedans ; la Suisse neutre se sentit respectée, et se rassura. Elle n’était pourtant pas au bout de ses peines. La guerre devait encore se rapprocher d’elle et la forcer de rappeler ses jeunes hommes sous les drapeaux, de faire sentinelle sur ses montagnes