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notre maître ; il doit y être déjà, et je suis sûr que Francia aura la volonté de vous suivre.

— Votre excellence est bien décidée à la reprendre après cette aventure ?

— Elle a résisté, je suis sûr d’elle !

— Et, après avoir échoué, le comte Ogokskoï n’aura pas de dépit contre votre excellence ? Elle n’a pas daigné me confier sa situation ; mais cela est bien connu à l’hôtel de Thièvre, où je vais souvent en voisin. Les gens de la maison m’ont dit que le comte Ogokskoï était un puissant personnage, que votre excellence était dans sa dépendance absolue… Je demande humblement pardon à votre excellence d’émettre un avis devant elle ; mais la chose est sérieuse, et je ne voudrais pas que mon dévoûment trop aveugle pût m’être reproché par elle-même. Je la supplie de réfléchir une ou deux minutes avant de me réitérer l’ordre d’aller chercher Mlle  Francia. Si Mlle  Francia était bien contrariée de l’aventure, elle se serait déjà échappée, elle serait déjà ici.

Mourzakine fit un mouvement. — Admettons, reprit vite Valentin, qu’elle se soit préservée ; elle peut réfléchir demain, et juger sa nouvelle position très avantageuse. Admettons encore qu’elle soit tout à fait éprise de votre excellence et très désintéressée, elle va être un sujet de litige bien grave ! En la revoyant ici, et il l’y reverra, si vous ne la cachez ailleurs…

— Il faudra la cacher ailleurs, Valentin, il le faudra absolument !

— Sans doute, voilà ce que je voulais faire dire à votre excellence. Il ne faut donc pas que je ramène la petite ici ?

— Non, ne la ramenez pas. Trouvez-lui une cachette sûre, et venez me dire où elle est.

— À la place de votre excellence, je ferais encore mieux. J’écrirais au comte un petit mot bien aimable pour lui demander s’il consent à renoncer à ce caprice, et, comme il y renoncera certainement de bonne grâce, votre excellence n’aurait rien à craindre.

— Il n’y renoncera pas, Valentin !

— Eh bien ! alors, si j’étais le prince Mourzakine, j’y renoncerais. Je ne m’exposerais pas, pour la possession d’une petite fille comme cela, l’amusement de quelques jours, au ressentiment d’un homme qui peut tout, et qui tiendrait mon avenir dans le creux de sa main. Je tournerais mes vues vers un objet plus désirable et plus haut placé. Certaine marquise qui n’est pas loin d’ici a envoyé trois fois le jour de la grande alerte…

— Valentin, taisez-vous, je ne vous ai pas parlé et je ne vous permets pas de me parler de celle-là.