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que Caton l’ancien put dire et Cicéron répéter : On ne comprend pas deux augures se regardant sans rire.

L’homme ne peut pas oublier complètement sa dépendance des nécessités supérieures. Il voudra toujours connaître ces puissances, se faire une idée quelconque de la manière dont il doit se conduire à leur égard. Il est donc essentiellement religieux, ou superstitieux, comme on voudra. S’il ne trouve pas la satisfaction de ce besoin dans la religion officielle, il la cherchera ailleurs. Aussi, quand la religion nationale se fut dénaturée pour servir les passions d’un parti, toutes les superstitions de l’Orient se donnèrent-elles rendez-vous sur les rives du Tibre. Leur influence fut toute démoralisante ; il ne faut pas s’en étonner. Une religion nationale, fondée sur le sacerdoce universel, doit concilier l’unité d’action avec la liberté de pensée. Pour résoudre ce problème, elle offre à tous les esprits les mêmes alimens, afin de favoriser un développement uniforme chez tous ; mais elle laisse ce développement s’opérer, elle recherche ensuite quels sont les points sur lesquels on est tombé d’accord, et elle en fait la base de l’action commune. Quant aux points controversés, elle les laissera se débrouiller. Elle opérera ainsi dans les croyances une sélection qui sera fondée sur le consentement, sinon universel, au moins général, et qui produira le meilleur effet sur les idées.

Les points constans, les plus conformes à la vérité, sont fixés par la pratique que l’on édifie sur eux ; Ils se transmettent d’âge en âge par le précepte et surtout par l’exemple. Les points controversés au contraire restent dans la fournaise de la discussion jusqu’au jour où ils seront suffisamment épurés. Les hommes font leur éducation réciproque en se résistant mutuellement, en se forçant de se régler les uns sur les autres. Des croyances destinées à satisfaire des besoins individuels manquent de ce frein salutaire ; elles sont exposées à s’abandonner à l’exubérance et au dévergondage. On peut les comparer à des verges qui auraient conservé leur rigidité, si elles avaient été liées en un faisceau, mais qui, livrées à elles-mêmes, se contourneraient dans tous les sens. C’est au moins ce qui est arrivé à Rome, et là le mal était encore aggravé par une circonstance mentionnée à plusieurs reprises par les auteurs, et que l’on retrouve ailleurs, en Irlande par exemple. Les prêtres de ces religions étrangères devaient vivre, et, comme ils n’avaient pas de revenus alloués par l’état, ils étaient réduits à exploiter les fidèles, et à les entretenir dans des dispositions favorables. On comprend les tentations auxquelles ils étaient exposés ; on sent combien était compromise la pureté de leur doctrine. Les religions étrangères entamaient donc la morale publique, et minaient les fondemens de l’ordre social. On s’en était aperçu dès le ive siècle de la ville ; vers la fin du