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funestes au progrès social, à la justice, à la liberté. Nous allons donc au rebours des destinées poursuivies par notre siècle et des tendances bien connues du travail. Si l’on s’était proposé d’imaginer le mode le plus certain, le plus infaillible pour nuire à sa cause, pour renverser l’édifice de ses espérances et de ses vœux, jamais, non jamais, avec l’aide de l’ennemi le plus perfide, le plus ingénieusement infernal, on n’aurait pu mieux trouver que cette guerre de 1871 : n’est-ce pas la preuve évidente de ce malaise moral, de ce trouble des esprits signalé dès le commencement de cette étude ?

Il faut le proclamer cependant pour être équitable, nos égaremens ont eu plus d’une cause. Ce n’est pas en ce jour que nous avons désappris, dans l’exaspération d’une défaite inattendue et imméritée, la tradition de ce bon sens français, empreinte à chaque pas sur la route parcourue depuis trois siècles par les grands esprits dont se glorifie le plus justement notre histoire. Les sophismes inventés et propagés durant vingt années dans la défense du pouvoir absolu, et qui envahissaient à la fois la politique, l’économie politique, l’histoire et la morale, avaient altéré la justesse de l’esprit public. Tout en l’expliquant, ces origines multiples de la lutte sociale n’en déguisent point la folie, et elles ne l’empêcheront point d’être considérée dans l’avenir comme la léthargie du sens commun.

La lumière néanmoins luira encore pour nous ; l’engourdissement cessera, et la raison recouvrera ses droits. Le meilleur signe d’un pareil retour éclate déjà dans le besoin d’une réconciliation. À ce moment-là, le travail pourra reprendre son rôle. N’est-il pas en réalité le plus naturel instrument de cette réconciliation si désirable ? N’est-il pas le témoignage le plus frappant du besoin que les hommes ont les uns des autres ? Oui, sans doute, et les discordes civiles sont en contradiction absolue avec le continuel échange de services qu’il exige, le concours mutuel qu’il impose, les rapprochemens journaliers qu’il nécessite. En remettant sous nos yeux ces principes fortifiés par la leçon des faits, l’examen de la crise actuelle devait profiter effectivement, comme nous en avions tout d’abord exprimé l’espérance, aux intérêts de la paix sociale. Quand la science, pour défendre cette grande cause, sonde les désastres du moment, elle a besoin d’être modérée, puisqu’elle a besoin d’être juste. Il en est d’elle, sous ce rapport, comme d’un gouvernement libéral, éclairé, sur de son droit en face de l’insurrection, et qui ne peut avoir dans la bouche ni paroles violentes, ni menaces implacables, pas plus que dans la pensée des projets hostiles à la liberté.

A. Audiganne.