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toutes les têtes. Les ateliers, hormis ceux qui fabriquent des instrumens de mort, ont fermé leurs portes. Au jeu bruyant des appareils à vapeur, des métiers et des outils, a succédé un silence qu’interrompt seul le lugubre bruit de la canonnade.

On peut reconnaître maintenant si, pour arriver à constater cette attristante similitude, tout en tenant compte des variantes qui se produisent çà et là, il n’était pas indispensable de considérer à part chacun des groupes du travail parisien. Autrement nous ne serions pas en mesure de tempérer la signification trop absolue et trop rigide d’une moyenne générale. Jamais d’ailleurs on ne réussirait par des moyennes seules à se peindre l’état des masses sous ses véritables couleurs : les termes extrêmes, nécessairement exceptionnels, nuisent à la justesse du coup d’œil. Ce n’est donc qu’après avoir pris nos précautions, après nous être prémuni au contact des faits contre des chiffres arbitraires, que nous arrivons à cette répartition par tête, annoncée au début. Il est possible, sous cette forme, de déterminer la perte totale causée par la guerre civile. Les conclusions et les enseignement sortiront d’eux-mêmes de ce navrant tableau.


III.

Le second aspect sous lequel va se présenter la crise actuelle suppose une analyse assez intime des traditions du travail parisien ; non pas qu’on ait à reprendre la suite de son histoire : le tourbillon qui nous emporte ne permettrait point de telles études rétrospectives. Seulement il faut pouvoir fonder ses propres appréciations sur des données consacrées par l’expérience, sur des résultats acquis et incontestés. Voilà ce que j’entends, et cette obligation même nous remet en face de certains côtés aussi curieux que significatifs de la vie laborieuse dans cette grande agglomération d’ouvriers dont la mobilité extérieure empêche trop souvent d’approfondir les caractères permanens et les habitudes invétérées. Rien n’est changeant et rien n’est tenace comme le travail parisien. En vain se succèdent des impressions fugitives, en vain par des alluvions ininterrompues les couches de la population semblent se superposer sans cesse les unes aux autres, les coutumes ne varient guère ; le fond des choses reste aujourd’hui ce qu’il était la veille. Cette double tendance en deux sens opposés, qui rend difficile, je l’avoue, d’entamer ce monde à part, y maintient une sorte de pondération, une stabilité réelle, que le passé n’a jamais su peut-être suffisamment comprendre, et dont il a négligé de tirer parti. La politique du second empire l’avait essayé dans des vues purement