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heurs, ses crimes, a rendu tous les yeux plus ou moins troubles. Est-il étonnant qu’à Paris surtout, après les douleurs d’un siège si héroïquement supporté, il soit resté dans l’atmosphère morale une sorte de nuage qui obscurcit la vue et altère le jeu habituel du raisonnement ? En cet état des esprits, le sentiment de la réalité est devenu un suprême besoin, une condition de salut.

Les réflexions qu’on va lire s’adressent surtout à ces ouvriers, à ces contre-maîtres sensés et laborieux, comme il y en a tant dans les ateliers de la capitale, et qui sont directement atteints par les malheurs actuels, — à ces petits patrons, à ces petits commerçans, véritables ouvriers eux-mêmes, qui connaissent si bien les conditions du travail dans Paris et la vie des familles ouvrières. Amis les uns et les autres, par un instinct irrésistible, quoique trop vague, du progrès social et de la justice, ils savent très bien, en temps ordinaire, démêler le fort et le faible des intérêts. Leur influence est précieuse pour faire pénétrer une idée parmi la masse de la population parisienne ; c’est au milieu d’eux qu’elle a ses chefs immédiats. Ce serait peine perdue que de vouloir abuser ces hommes-là sur la situation économique qui les presse ; on ne peut prétendre qu’à éveiller leur attention sur telles ou telles conséquences de faits irrécusables. La seule idée pratique consiste à préciser les traits du tableau, et à dégager le rapport entre la cause et l’effet.

Dans les régions sociales où l’on est moins familier avec les questions industrielles, avec la vie quotidienne du travail, on reconnaît bien vite cependant si la méthode d’observation est sûre, et si le but est nettement défini. On sent à merveille que l’opportunité, le mérite, la portée de telle ou telle mesure, peuvent dépendre d’une exacte connaissance des élémens si complexes, et au premier abord si embrouillés, qui caractérisent en ce moment la crise du travail dans Paris. À tous les points de vue, — à celui des intérêts de l’ouvrier, à celui de la politique, à celui de la paix sociale, — l’analyse des effets de cette crise ne saurait être ni trop prompte, ni trop précise.


I.

Il est essentiel avant tout de se faire une idée exacte des proportions que le travail industriel présente dans la capitale. Là-dessus, les renseignemens ne manquent point, nous en possédons au contraire de certains, ou qui ne laissent qu’une bien faible place à la conjecture. On sait effectivement à quoi s’en tenir quant au chiffre des affaires annuelles, quant au total des loyers payés par l’industrie et au nombre des ouvriers qu’elle occupe habituellement. Ces