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du côté le plus proche, le plus accessible, et sur lequel il importe aussi le plus de s’éclairer immédiatement. L’instruction obligatoire ou, pour parler en termes plus généraux, l’instruction primaire très largement répandue a-t-elle été par elle-même une des causes de la supériorité de l’Allemagne ? quelle part faut-il attribuer dans nos défaites à l’état relativement inférieur de l’instruction populaire dans notre pays ? dans quelle mesure enfin pouvons-nous attendre d’une réforme de la loi d’enseignement dans le sens prussien une restauration de nos facilités militaires ?

Au premier abord, le problème semble résolu par une de ces oppositions vives et saisissantes que l’on appelle l’éloquence des chiffres. Sur 100 conscrits examinés en Prusse, 3 seulement ne savent ni lire, ni écrire ; en France, nous en comptons 27[1]. Pressons cependant d’un peu plus près la statistique ; elle est complaisante, et, comme certaines puissances neutres, elle cède volontiers des armes à tous les partis. Nous voyons qu’en Autriche les écoles sont mieux remplies que dans la Prusse même : 98 pour 100 de la population les fréquente ; en Prusse, le chiffre n’est que de 97 pour 100. L’Autriche n’en a pas moins été battue à Kœniggraetz, comme elle l’avait été par nous auparavant. Les armées de Napoléon Ier, bien qu’elles portassent, à ce qu’on assure, les principes de 89 cachés quelque part dans leurs fourgons, ne s’en doutaient guère en général, et n’ont jamais passé pour fort lettrées ; cependant au jour de la bataille d’Iéna l’instruction obligatoire existait en Prusse depuis cinquante années, et devait avoir produit quelques résultats. La guerre récente fournit des exemples plus singuliers encore. Les départemens de Vendée et de Bretagne sont classés parmi les derniers sur les tableaux de l’instruction primaire ; le courage des mobiles bretons est pourtant devenu proverbial. La Bretagne est peut-être la seule province où la levée en masse aurait pu être rigoureusement appliquée, car le pays s’y était résolu spontanément, et il a fallu les pitoyables désordres du camp de Conlie pour décourager l’élan des volontaires.

La question n’est donc pas aussi simple qu’elle le paraît au premier aperçu. Elle se complique encore d’une des plus tristes et décourageantes expériences que nous aient fournies les derniers mois. Cette armée allemande, qui est en définitive la vraie levée en masse du pays de l’Europe où le peuple est le plus instruit, n’a-t-elle pas souillé sa

  1. Ces chiffres se rapportent à des statistiques de 1864 ; la moyenne n’a pas beaucoup changé depuis, et le rapport est demeuré le même. Sur toutes ces questions, on peut consulter l’ouvrage de M. Jules Simon, l’École, plaidoyer convaincu en faveur de l’instruction obligatoire, et qui a d’autant plus d’intérêt maintenant qu’il a été écrit dans des circonstances plus différentes de celles où nous nous trouvons.