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III.

La ville d’Orléans était donc une seconde fois au pouvoir de l’ennemi. Le 5 décembre, les régimens prussiens défilaient, drapeaux déployés et musique en tête, sur la place du Martroy. Autour de la statue de Jeanne d’Arc, souvenir de l’invasion et de la délivrance de la France à une autre époque, se pressaient de nombreux prisonniers français. Toutes les portes étaient fermées : on se rappelait trop bien la conduite insolente du vainqueur à la première occupation. Les habitans ne se montraient qu’en habit de deuil. Les autorités allemandes se comportaient au surplus de manière à justifier la défiance de la population. Les boutiques de bouchers et de boulangers et les débits de tabac étaient gardés par des sentinelles. À l’évêché, des sentinelles encore ; il y en avait jusque dans les appartemens de l’évêque, coupable d’avoir affiché trop de patriotisme ! Le procureur de la république était en prison ; on lui reprochait d’avoir traduit devant le tribunal quelques citoyens indignes qui s’étaient faits les complaisans de l’armée allemande ; mais le plus triste était l’aspect misérable de la cathédrale. Dans ce magnifique édifice étaient entassés autant de prisonniers qu’il en avait pu tenir. Aussi l’aspect intérieur de l’église révélait-il les plus abominables profanations. Ces malheureux, recouverts de vêtemens en lambeaux et privés de nourriture, s’installaient là comme ils le pouvaient.

Il était resté un grand nombre de prisonniers entre les mains des vainqueurs ; ils n’avaient pas été pris, sauf peu d’exceptions, sur le champ de bataille. C’étaient des hommes débandés qui venaient d’eux-mêmes se livrer à l’ennemi. On raconte qu’ils étaient épars dans la campagne, et que le lundi, au lieu de chercher à rejoindre leurs régimens par des chemins détournés, ils se présentaient aux portes de la ville, demandant à la sentinelle ennemie dans quel endroit ils devaient se rendre. C’étaient sans contredit de mauvais soldats ; mais n’est-il pas permis de penser qu’avec de bons chefs ils auraient été meilleurs ? Le froid et l’indiscipline les avaient vaincus, et non pas le feu de l’ennemi. Quoi qu’on pense de cette triste débandade, le prince Frédéric-Charles se vanta d’avoir fait plus de 10,000 prisonniers en ces trois derniers jours de bataille ; le chiffre est peut-être exagéré. Nous le croyons d’autant plus volontiers, que les pertes de l’artillerie avaient été sans importance. Le butin se composait de 70 bouches à feu ; mais, sauf une demi-douzaine de pièces de campagne, il n’y avait que des canons de marine qu’il eût été impossible d’enlever en effectuant la retraite, et que les artilleurs français s’étaient contentés d’enclouer sur place. Au reste les pertes de l’ennemi n’étaient pas insignifiantes. Le grand-duc de