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chaque officier, chaque soldat sait qu’il tient dans ses mains le sort même de la patrie ; cela seul les rend invincibles. Qui donc douterait désormais de l’issue finale de cette lutte gigantesque ! » Il y avait dans cette proclamation, personne ne l’ignore plus, une erreur de faits capitale. La sortie du 30 de la garnison de Paris avait été dirigée principalement vers les hauteurs de Villiers-sur-Marne et de Champigny, et la diversion opérée par des forces moindres dans la direction du sud n’avait pas été poussée jusqu’à Épinay et Longjumeau ; elle s’était arrêtée bien en-deçà. Cependant le général d’Aurelle, partageant la même erreur, obéissant au même mot d’ordre, disait à son tour aux soldats : « Paris, par un sublime effort de courage et de patriotisme, a rompu les lignes prussiennes. Le général Ducrot, à la tête de son armée, marche vers nous ; marchons vers lui avec l’élan dont l’armée de Paris nous donne l’exemple. »

En effet, l’armée de la Loire sort enfin de sa longue inaction. Le temps était devenu froid : une légère couche de neige recouvrait çà et là le sol, mais sans en dissimuler les accidens ; le terrain, gelé, résonnait sous les pieds des chevaux ; l’artillerie roulait avec facilité dans les plaines faiblement ondulées de la Beauce, où les canons se seraient embourbés jusqu’à l’essieu quelques jours auparavant. Le 1er décembre, le 16e corps surprend les Bavarois, campés sur la ligne d’Orgères à Terminiers ; il déloge l’ennemi et enlève plusieurs villages à la baïonnette. Surpris de cette attaque imprévue, le grand-duc ramasse ses forces pendant la nuit, et le 2 au matin il recommence la bataille avec toutes ses divisions. De notre côté, le 16e et le 17e corps et une faible partie du 15e étaient engagés. Les forces étaient probablement presque égales de part et d’autre. Le combat fut soutenu pendant plusieurs heures avec succès par nos troupes, depuis Songy jusqu’à Bazoches-les-Hautes. Par malheur, le général de Sonis, officier d’un tempérament chevaleresque, homme de cœur et d’action, fut emporté trop loin par son élan ; il fut blessé grièvement et fait prisonnier. Ses soldats, privés de leur chef, ne résistèrent plus qu’avec mollesse et furent ramenés en arrière. Le 16e corps se vit aussi contraint de se replier sur Patay. Ce fat en cette chaude journée que disparut presque en entier le bataillon des zouaves pontificaux, guidé par l’intrépide de Charette. Cette petite troupe, malgré son nom exotique, était française et bien française. Elle avait été recrutée dans la Vendée, le Poitou et la Bretagne, parmi les enfans de nobles familles qu’une susceptibilité peut-être exagérée tenait depuis quarante ans à l’écart de l’armée et des fonctions publiques, mais qui avaient à cœur de prouver que la patrie en danger pouvait toujours compter sur leur dévoûment. Le 2 décembre, les zouaves pontificaux furent hé-