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suivit la vallée de l’Eure, et, ne rencontrant pas de résistance sérieuse, il s’avança presque jusqu’au Mans. Cette marche facile, qui ne pouvait avoir d’autre but que de piller des pays encore épargnés par l’invasion, disséminait trop les forces allemandes. Le grand-duc reçut l’ordre de se rapprocher d’Orléans dès qu’il fut bien certain que l’armée de la Loire y était massée tout entière. Il était revenu près de Toury dans les derniers jours de novembre.

D’un autre côté, les troupes ennemies qui menaçaient Orléans venaient d’être plus que doublées par l’arrivée du prince Frédéric-Charles. Au commencement de la guerre, ce général commandait, on le sait, la deuxième armée allemande, à laquelle était échue la tâche de bloquer Metz. Cette armée avait beaucoup souffert pendant le blocus, soit par le feu de l’ennemi, soit par les maladies et par l’inaction d’un long siège. Toutefois il lui était facile de réparer ses pertes, car elle était aux portes de l’Allemagne. Renforcées par de nouvelles recrues et pourvues d’équipement neufs, les troupes de la deuxième armée furent dirigées vers l’intérieur de la France dès que la capitulation de Bazaine leur rendit la liberté. On prétend même que plusieurs régimens avaient reçu l’ordre de départ avant que la capitulation ne fût signée, tant M. de Moltke était pressé d’envoyer des renforts aux armées qui battaient la campagne autour de Paris. Des six corps qui étaient sous les ordres de Frédéric-Charles, trois furent dirigés sur le nord ou conservés dans l’est pour occuper les départemens envahis. Les trois autres s’avancèrent rapidement sur Troyes, conduits par le prince, qui entrait dans cette ville le 9 novembre. Cette marche peut sembler extraordinaire, car Metz a capitulé le 27 octobre ; mais il est à considérer qu’elle s’opérait, sauf les deux ou trois premières étapes, dans un pays riche qui n’avait pas encore vu l’ennemi, où les réquisitions se levaient sans difficulté, et où le gouvernement de Tours, vu l’éloignement et la pénurie de ses ressources, n’avait été capable d’organiser aucune défense sérieuse. Il est à croire que le prince arrivait à Troyes sans que le plan de ses opérations ultérieures fût encore arrêté. De là, il pouvait, soit marcher au sud-est et menacer Lyon, soit continuer vers l’ouest dans la direction d’Orléans.

Grâce aux télégraphes que les Allemands installaient partout en arrière de leurs colonnes et aux services rapides de courriers que leur innombrable cavalerie leur permettait d’établir dans toutes les directions, Frédéric-Charles reçut avis le 10 novembre au soir que von der Thann avait été battu la veille à Coulmiers, et qu’il était urgent de lui porter secours. Les troupes cantonnées à Troyes et dans les villages environnans devaient se reposer deux ou trois jours et marcher ensuite vers Auxerre. Aussitôt les ordres furent changés. Dès le 11 au matin, elles se remettaient en route dans la direction de Sens ;