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pos, tel a dû être, non-seulement son sentiment, mais celui de Louis XVIII lui-même, qui avait trop de finesse pour risquer une démarche où le ridicule, si elle n’était pas prise au sérieux, pourrait côtoyer le sublime. Le fait est donc au moins douteux ; mais ce qui ne l’est pas, c’est la pression morale, quelle qu’en ait été la forme, exercée avec succès sur les Prussiens pour les détourner de faire disparaître le souvenir importun d’une défaite dont leur orgueil souffrait toujours, même après Waterloo ! Hélas ! il en souffre encore aujourd’hui, même après Sedan et une troisième invasion de la France, et s’il se console de n’avoir pu assouvir jusqu’au bout sa rancune, c’est en assistant à l’achèvement de son œuvre de vengeance par des mains françaises !

En 1817, dit M. Victor Hugo, dans le chapitre dont M. Biré a entrepris la critique, « il y avait encore des Prussiens en France ! » Ce n’est pas le seul rapprochement entre cette époque et les tristes temps que nous traversons. Alors, comme aujourd’hui, l’invasion étrangère avait été suivie d’un changement de gouvernement. Des institutions depuis longtemps abandonnées avaient été restaurées par un effet de la force des choses plutôt que de la volonté nationale, et elles essayaient de se faire accepter d’un pays où régnaient contre elles d’incurables défiances. Ces défiances étaient accrues pour la monarchie des Bourbons par le zèle imprudent de ses amis, dont elle avait encore plus à se défendre que des attaques de ses ennemis déclarés. Elle cherchait sa force dans les partis intermédiaires, et, au grand scandale des royalistes de la veille, elle donnait sa confiance à d’anciens serviteurs du régime déchu, royalistes du lendemain. Elle n’eut pas à s’en repentir. Ses fautes les plus graves datèrent du moment où elle se jeta dans les bras du parti exclusif qui la considérait comme sa propriété. Elle succomba après quinze ans, mais non sans laisser, avec le souvenir de fatales erreurs, des titres de gloire qui valent bien ceux de l’empire et que n’a surpassés aucun des gouvernemens qui ont suivi. C’est sous ses auspices que la liberté politique s’est constituée pour la première fois en France d’une façon durable, que la tribune française s’est réveillée avec éclat après un long silence, et que la littérature française, également endormie sous un despote, a retrouvé dans tous les genres une vie nouvelle. Il faut souhaiter à la république, rétablie dans des conditions analogues, d’acquérir une gloire égale, en évitant les mêmes fautes et la même catastrophe ; mais il restera toujours un avantage à la restauration : si elle a subi, à ses débuts, la honte de l’occupation étrangère et du démembrement de la France, elle n’y a pas joint dans le même temps, sous les yeux du vainqueur, celle de la guerre civile !

Émile Beausire.

C. Buloz.