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justifier par trop d’argument l’audace qu’il a de ne pas tout admirer.

Ces longueurs pèchent surtout par le but et par la forme, comme démonstration superflue et diffuse d’une thèse prouvée d’avance ; comme étude anecdotique d’une curieuse époque, elles abondent en détails pleins d’intérêt. M. Biré a cherché partout dans les écrits de circonstance, dans les brochures, dans les articles de journaux, les idées, les passions, les mœurs des premières années de la restauration. Quelques-uns des petits faits qu’il nous rend sont des traits de caractère national, qu’il est bon de se remettre en mémoire, si l’on veut comprendre avec quelle facilité les impressions les plus opposées se succèdent dans notre pays, en ne gardant que la similitude d’une même exagération et d’une égale intolérance. On ne se doute guère aujourd’hui que, quelques jours après Waterloo, une émeute pouvait éclater au Théâtre-Français, non dans les loges, mais au parterre, pour forcer Mlle  Mars à crier vive le roi !

Les recherches de M. Biré intéressent l’histoire littéraire aussi bien que l’histoire politique ou morale. Les futurs biographes de M. Victor Hugo pourront puiser dans son livre des renseignemens sur quelques-uns des premiers essais du poète, qu’il a négligé de reproduire dans ses recueils et que le « témoin de sa vie » a passés sous silence. Ce sont, outre un petit nombre de poésies lyriques, des satires écrites dans un esprit très royaliste, un discours en vers sur les avantages de l’enseignement mutuel, des traductions de Virgile et de Lucain, etc. La plupart de ces œuvres d’écolier ont été publiées dans le Conservateur littéraire ; un titre assez étrange pour le journal où a fait ses premières armes le promoteur le plus hardi d’une révolution littéraire !

Ce n’est pas toutefois par de telles anecdotes, c’est comme apologie de la restauration que la consciencieuse étude de M. Biré est surtout estimable. Ici il est dans son droit, car il n’en est pas de l’injustice comme de l’inexactitude ; elle n’est jamais excusable sous quelque forme qu’elle se produise. Peut-être n’est-il pas très équitable de reprocher à M. Victor Hugo sa sévérité pour un gouvernement qu’il a autrefois encensé, car les sentimens professés par l’adolescent n’engagent pas l’homme fait ; mais sur le fond même, et en laissant de côté tout argument personnel, rien n’est plus légitime qu’une riposte plus ou moins vive, quand on se sent blessé dans ses convictions les plus chères par des jugemens excessifs, ne reposant pour la plupart que sur les préventions de l’esprit de parti. Il ne faut pas même se plaindre, si une telle riposte n’est pas toujours impartiale : l’avocat le plus honnête se passionne pour sa cause ; l’ardeur qu’il met à la défendre se fait pardonner, si elle est sincère et si elle part de sentimens élevés. Le zèle de M. Biré pour un gouvernement qu’il aime et qu’il regrette mérite ce double éloge : sa bonne foi n’est pas douteuse et ses jugemens sont empreints d’un esprit constamment libéral. On ne saurait trop louer ces justifications du passé qui s’inspirent des besoins du présent et qui se placent