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guerre, ces indemnités se seraient singulièrement augmentées de nombre et de chiffre. Pour éviter cet inconvénient facile à prouver, il avait paru plus convenable de mettre à la charge du département de la Seine les indemnités des propriétaires et des locataires lésés par l’investissement de Paris. Le département est moins une abstraction que l’état ; on est moins disposé à le charger des dépenses dont on veut se dispenser. La loi proposait donc de charger le département de la Seine de payer l’indemnité afférente aux propriétaires et aux locataires parisiens ; elle l’avait même imposé à cet effet. C’est alors que s’est élevé dans l’esprit de la chambre un scrupule dont la légalité nous semble incontestable : la chambre s’est demandé si elle avait le droit de voter, à la place du département ou de la commune, un impôt communal ou départemental. N’était ce pas porter atteinte à l’indépendance du droit communal ?

Elle s’est arrêtée devant cette raison comme devant un obstacle infranchissable, et, par respect pour la liberté municipale et départementale, elle s’est abstenue de mettre l’indemnité à la charge du département de la Seine. L’habile et éloquent rapporteur de la loi sur les loyers a eu beau affirmer à la chambre que le conseil-général du département de la Seine et le conseil municipal de Pains, une fois nommés, voteraient avec empressement cet impôt, l’assemblée, qui était en train de respecter les franchises municipales de Paris, tant et si malavisément prônées depuis quelque temps, n’en a pas voulu démordre.

Soyons sincères, Paris a voulu faire ou plutôt a laissé faire une révolution qui s’est appelée communale, et qui prétendait sous ce titre s’imposer à la France, dont elle ferait une fédération de communes au lieu d’un état. Or la première condition d’une pareille fédération, c’est que toutes les communes soient indépendantes, qu’aucune ne soit sujette de l’autre, qu’aucune surtout ne soit sujette de l’état. L’ancien Paris était une commune sujette de l’état, parce qu’il était le siège de l’état. Il trouvait dans l’ascendant de sa suprématie nationale une compensation aux déchets de sa liberté communale. Il a cru que le marché lui était désavantageux, ou plutôt il a voulu avoir à la fois la grandeur d’une capitale souveraine et la liberté d’une commune indépendante. Les événemens sont en train de prendre Paris au mot pour tout ce qui touche à l’indépendance de la commune. Paris sera indépendant, la chambre elle-même consacre cette indépendance par ses votes ; mais l’indépendance communale de Paris n’ira plus jusqu’à la suprématie effective sur la France. Paris se gouvernera, c’est juste ; mais il ne gouvernera que lui-même, c’est juste aussi.

ch. de mazade.