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le théâtre et la victime. Ce qui est certain, c’est qu’il y a une situation fatale qui se déroule sous nos yeux, qui s’aggrave chaque jour.

Le premier coup de l’insurrection, c’est la France qui l’a reçu en pleine poitrine. Le premier résultat de ces lamentables événemens, c’est la difficulté de faire face à l’immensité des charges qui pèsent sur nous, c’est l’impossibilité d’une délivrance aussi prochaine qu’on l’espérait. On n’a pas voulu se souvenir que l’ennemi était là, l’ennemi ne nous laissera pas l’oublier, au besoin même il nous le rappellera avec une ironie de victorieux qui n’est pas de trop bon goût, et qui n’est même pas toujours juste. Cela est vrai, on aurait voulu sans nul doute commencer à s’acquitter, il a même été question un instant du paiement du premier demi-milliard de la lourde indemnité qui est la rançon de nos désastres. Par le fait, les 500 millions n’ont pas été payés, — et il se peut qu’il y ait eu quelque malentendu dans l’acquittement des frais d’occupation des mois de mars et d’avril ; c’est ce qui expliquerait certaines paroles de M. de Bismarck.

On a fait ce qu’on a pu, et il ne faut pas s’étonner qu’on n’ait pas pu tout ce qu’on voulait. Pour porter sans fléchir l’accablant fardeau qui lui a été imposé, la France avait évidemment besoin de toutes ses forces, de toutes ses ressources, et si elle était restée calme, unie, si elle n’eût pas été paralysée subitement au lendemain de la paix, nul doute qu’elle n’eût été en mesure de tenir les engagemens qu’on lui rappelait ces jours-ci du haut de la tribune du parlement de Berlin. Déjà les capitaux étrangers s’offraient à elle avec une confiance empressée, le pays lui-même sentait l’importance de se racheter le plus promptement possible, et se montrait prêt à tous les sacrifices. On touchait presque le but, et on ne désespérait pas, à ce qu’il paraît, d’obtenir dans un délai assez court un allégement sensible, peut-être la fin de l’occupation, moyennant le paiement d’une partie considérable de l’indemnité. L’insurrection de Paris est venue ruiner ces espérances et ces combinaisons. Est-ce qu’un pays dans la situation où l’on a mis la France a du crédit ? Est-ce qu’on lui prête 2 ou 3 milliards, ou 1 milliard, ou même 500 millions ? Or ici malheureusement tout s’enchaîne, tout retard dans le paiement de l’indemnité, c’est l’invasion dans nos foyers, c’est l’ennemi continuant à camper dans nos provinces, et les accablant peut-être de réquisitions nouvelles, c’est en un mot l’occupation prolongée. Et qu’on songe bien que chaque jour d’occupation nous coûte plus de 1 million. Voilà ce que la victoire éphémère de la commune de Paris a fait pour nos infortunées provinces envahies. Elle vaut à ces provinces un surcroît de misères, au pays tout entier un surcroît de charges. La France s’en tirera encore une fois, nous gardons cette confiance, elle retrouvera sa puissance et son crédit ; pour le moment, elle est atteinte dans sa vitalité, dans cette énergie qui était prête à renaître sous l’influence de la