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garçons, les commis, pour faire travailler au pont de Fontenoy. Enfin l’armistice fut signé et la période électorale fut ouverte. Les journaux reparurent avec une liberté relative ; il y eut des réunions publiques. L’autorité prussienne intervint pourtant une fois, menaçante, à propos des décrets d’exclusion de M. Gambetta.

L’armistice n’avait pas mis fin aux vexations. J’ai vu à Épinal, le 6 mars, un vieux paysan, notable de sa commune, que l’on obligeait à descendre du wagon et à monter sur la locomotive. À Nancy, le commandant des étapes, colonel Schartow, afficha le même jour un ordre à tout soldat français en uniforme de saluer les officiers et employés supérieurs allemands, à tout officier français de saluer l’officier ou l’employé allemand du grade supérieur. Les officiers prussiens étaient invités à veiller avec la dernière sévérité à l’exécution de cet ordre « en faisant arrêter immédiatement les contrevenans et en les amenant au poste le plus rapproché. » C’était donner carrière à l’insolence brutale trop ordinaire chez les officiers. Beaucoup de nos pauvres soldats revenaient de captivité ou rentraient en congé, ou sortaient à peine guéris des ambulances. Arrivant en ville, ils ignoraient l’ordre. Plusieurs furent brutalement empoignés, d’autres souffletés ; on vit battre et traîner au poste de pauvres soldats estropiés. L’un d’eux s’excusait de n’avoir pas salué, il avait perdu le bras à Gravelotte. Puis c’étaient des prisonniers que l’on tenait renfermés, on ne sait pourquoi, dans la caserne de la ville, nourris comme les Prussiens savent nourrir leurs prisonniers, détenus au milieu d’une ville française, sans communications avec leurs compatriotes et leurs parens. Le passage de l’empereur-roi à Nancy, au milieu des guirlandes de feuillage et des inscriptions triomphales élevées par ses soldats, amena le gouverneur à menacer de l’amende et de la prison tout négociant qui ce jour-là fermerait boutique.

Une autre affaire plus sérieuse qui traîna jusqu’à la conclusion définitive de la paix, c’est celle des contributions de Nancy. On avait cru, par suite de l’armistice, que la capitation de 25 francs serait supprimée, et que la contribution mensuelle serait réduite de 327,000 francs à l’ancien chiffre de 91,000. C’est la doctrine que M. le maire de Nancy exposa à M. le préfet de la Meurthe, en s’appuyant sur des textes de jurisconsultes allemands. Le préfet, tout en félicitant son subordonné français de ses connaissances en jurisprudence germanique, persista à maintenir le statu quo, et l’on en référa à M. de Bismarck. La réponse de ce dernier mérite d’être citée tout entière. Elle pose les bases d’un droit international nouveau, que l’empire allemand se croit peut-être appelé à faire prévaloir en Europe.