Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du château que les boulets français, bien que la curiosité émue de nos touristes ait couvert ces vieux murs de pièces d’or. L’Allemagne y retrempe ses haines. Les Badois de Werder, lorsqu’ils brûlaient les villages franc-comtois, disaient que c’était pour venger Heidelberg : ces paysans croient que c’est arrivé hier. Et nous aussi, nous conserverons les ruines de Fontenoy ; elles valent bien celles d’un château princier, et témoignent d’un crime plus odieux. À Nancy, on fouilla de fond en comble la maison de M. l’ingénieur Varroy, aujourd’hui député de la Meurthe, alors attaché à l’armée de l’est, et que l’on soupçonnait d’avoir dirigé cette expédition. Restait à rétablir le pont. Le lendemain de l’explosion, on requit, dans les espèces d’ateliers nationaux que la ville avait établis pour fournir de l’ouvrage aux travailleurs, environ cinq cents ouvriers. Ils refusèrent de monter en wagon, et s’en revinrent chez eux en poussant des cris séditieux. Le préfet prussien fit alors paraitre un arrêté en vertu duquel tous les chantiers de la ville, toutes les manufactures particulières, tous les ateliers employant plus de dix ouvriers, étaient fermés jusqu’à ce que les cinq cents réfractaires se fussent soumis. Tout chef d’industrie qui persisterait à faire travailler serait frappé d’une amende de 10,000 à 50,000 francs par jour. La bourgeoisie était décidée à soutenir de son argent la patriotique résistance des ouvriers, lorsque le préfet, exaspéré, donna l’ordre d’afficher :

« M. le préfet de la Meurthe vient de faire au maire de Nancy l’injonction suivante :

« Si demain, mardi 24 janvier, à midi, cinq cents ouvriers des chantiers de la ville ne se trouvent pas à la gare, les surveillans d’abord, un certain nombre d’ouvriers ensuite, seront fusillés sur place.

« Nancy, le 23 janvier, quatre heures du soir. »

En même temps, il déclarait avoir reçu de M. de Moltke l’ordre de réprimer toute manifestation par les armes, et l’avis qu’il pouvait compter sur 10,000 hommes de renfort. Les ouvriers n’en opposèrent pas moins aux « injonctions » féroces de l’autorité prussienne une invincible force de résistance ; plus de la moitié manquèrent à l’appel. Le préfet s’en vengea sur les bourgeois. Le 27 janvier, comme les bras manquaient à Fontenoy, des soldats et des gendarmes cernèrent la place la plus fréquentée de Nancy, enlevèrent pêle-mêle ouvriers et bourgeois, juges et avocats, sous les yeux du préfet de la Meurthe, qui, en un coin de la place, surveillait l’opération ; puis on pénétra dans les magasins et les cafés du voisinage, et l’on emmena au hasard les consommateurs, les