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de l’empire, qui dans leur retraite avaient livré intacts à l’ennemi tous les tunnels et presque tous les travaux d’art ; mais l’administration prussienne y avait mis bon ordre. Quand elle ne pouvait trouver les coupables, elle rendait les municipalités responsables des dégradations qui se produisaient sur leur territoire. Le 8 septembre, on lisait la note suivante dans le Moniteur prussien : « La ville de Nancy et la commune de Jarville ont été frappées chacune d’une amende de 1,000 francs à raison de plusieurs jets de pierre sur la voie ferrée. » Un fil télégraphique coupé le 12 septembre dans un faubourg de Nancy valut à la municipalité une amende de 500 francs ; elle fut levée sur les réclamations du maire, et parce que l’amende édictée par les règlement n’était que de 100 francs ; mais on avertit la ville qu’en cas de récidive ce ne serait plus ni 100 francs, ni 500, mais 1,000 francs pour chaque ligne télégraphique qui se trouverait coupée. Le gouverneur et le préfet modifiaient sans cesse leurs arrêtés et toujours dans le sens le plus rigoureux.

Plus tard, quand la France commença à se réorganiser, quand les éclaireurs français apparurent sur tous les points des Vosges, quand leurs émissaires se glissèrent jusqu’aux portes du palais même du gouverneur, les amendes et les menaces se trouvèrent insuffisantes. Après le paysan, les armées allemandes trouvèrent un ennemi autrement opiniâtre et vigilant : le franc-tireur. C’est alors que les autorités prussiennes imaginèrent un système d’atroce précaution. « Plusieurs endommagemens ayant eu lieu sur les chemins de fer, dit un arrêté du marquis de Villers, en date du 18 octobre, M. le commandant de la troisième armée allemande a donné l’ordre de faire accompagner les trains par des habitans connus et jouissant de la considération générale. On placera ces habitans sur la locomotive, de manière à faire comprendre que tout accident causé par l’hostilité des habitans frappera en premier lieu leurs nationaux. » Les notables de Nancy devaient accompagner jusqu’à Toul, ceux de Toul jusqu’à Commercy, ceux de Commercy jusqu’à Bar-le-Duc ; le service « d’accompagnement » fut organisé de la même manière dans la direction de Strasbourg, plus tard dans la direction d’Épinal. Les représentations furent inutiles ; mais beaucoup de maires refusèrent les listes de notables qu’exigeaient d’eux les autorités allemandes. Il faut aussi mentionner la délibération si fortement motivée du conseil municipal de Bar-le-Duc, qui protesta contre l’arrêté en se fondant : 1° sur l’assurance donnée par le roi de Prusse, au début des hostilités, qu’il ne faisait pas la guerre aux citoyens » français ; 2° sur l’inutilité d’un pareil « accompagnement, » puisque chaque jour, dans toutes les directions, des cen-