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élus. Aux approches des élections, les journaux sont remplis de lettres de gens qui déclinent toute candidature. Parmi les députés sortans, beaucoup refusent de se laisser renommer. On a vu récemment plusieurs hommes de mérite, qui devraient comprendre qu’ils se doivent à la patrie, se réfugier avec empressement dans la vie privée. Les hautes et belles fonctions de député semblent non un honneur qu’on se dispute, mais une charge à laquelle se dérobent ceux qui sont le plus dignes de la remplir. Les candidats ne manquent pas cependant, ils sont même trop nombreux ; mais, comme la plupart d’entre eux ne représentent pas de grands principes, ou représentent seulement quelque petite coterie, il ne se produit ni larges courans d’opinion, ni utiles débats, ni fermentation d’idées. Il n’y a que de mesquines luttes d’influences personnelles. Les voix s’éparpillent, et le nombre des ballottages est toujours extrêmement considérable.

Sans doute on trouve dans tous les collèges des candidats qui s’intitulent ou que l’on nomme progressistes, conservateurs, avancés, gouvernementaux ; mais il n’y a point de programme général auquel les uns et les autres se rallient. Dans chaque région, dans chaque province, dans chaque circonscription électorale, ces noms prennent une signification différente d’après les intérêts locaux qui veulent être défendus, ou d’après les opinions individuelles des candidats. Il en résulte que, l’élection terminée, nul ne peut dire quelle est la nuance qui dominera dans la chambre nouvelle, et quels sont les hommes qui arriveront au pouvoir.

Quand un ministère s’appuie sur une majorité réunie par les liens solides d’opinions communes nettement proclamées et d’un programme commun dont les électeurs exigent la réalisation, il peut agir avec énergie, imposer des réformes, exiger de ses adhérens le sacrifice des dissidences accessoires, imposer une discipline rigoureuse dans l’intérêt de la victoire et au nom de l’intérêt général, faire prévaloir ainsi ses desseins, et gouverner avec autant de suite et de force que les ministres d’un souverain absolu. Plus la lutte sera ardente, plus les partis seront nettement tranchés, et plus un ministère parlementaire aura de pouvoir, car qui l’abandonnerait serait considéré comme un traître. Les députés, retenus par les engagemens pris envers leurs électeurs et par le danger que présenterait toute scission, ne peuvent se faire les organes ni de leurs ambitions particulières, ni des intérêts locaux. Dans les pays où la situation politique a créé cette subordination, on la blâme parfois, on l’appelle servilisme ; on vante l’indépendance du député qui sort des rangs et marche à sa guise. Cela peut être utile quand il s’agit d’un penseur éminent, comme M. Mill, qui au sein du par-