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menacé de donner sa démission. Pourquoi, dit-on, l’assemblée, qui venait de voter pour l’élection des maires par les conseils municipaux dans les grandes comme dans les petites communes, s’est-elle ravisée sur la menace du chef du pouvoir exécutif, et a-t-elle restreint l’élection des maires par les conseils municipaux aux communes qui sont au-dessous de 20,000 âmes, et qui ne sont pas des chefs-lieux de département ou d’arrondissement ? Là-dessus, comment ne point, se récrier contre une assemblée qui change d’avis à la minute sur la parole du chef du pouvoir exécutif ?

Remarquons d’abord que l’amendement qui rendait les maires électifs partout n’avait passé qu’à une voix de majorité, 275 voix contre 274. Ce n’est donc pas une assemblée tout entière qui obéit servilement à la voix d’un homme, et se contredit pour ne pas lui déplaire ; ce sont seulement quelques députés qui, mieux avertis ou mieux avisant, corrigent leur premier avis par un second. Cela arrive partout. La chambre était visiblement incertaine sur la question, puisqu’elle s’était partagée presque également en deux. Les uns considéraient la question de doctrine politique : jusqu’où doit aller dans notre gouvernement l’action du pouvoir électif ? Les autres considéraient la situation actuelle : faut-il ôter au gouvernement que nous avons créé un de ses moyens d’action au moment même où il a besoin de toute sa puissance pour lutter contre l’anarchie révoltée ? Les uns faisaient de la science constitutionnelle ; les autres faisaient de la politique, et se prêtaient aux circonstances. Les deux choses sont permises naturellement dans une assemblée vraiment indépendante et sincère.

Mais nous laissons volontiers ces détails de côté pour nous attacher au point important que nous avons indiqué, l’existence dans la chambre d’un parti de gouvernement, et qui s’est formé tout seul. On peut rendre cette justice au ministère ou lui faire ce reproche : il s’occupe peu de la chambre, et ne paraît pas songer à la diriger. M. Thiers est trop occupé pour le faire, et les autres ministres n’ont pas sans doute cette vocation, ou ne se sentent pas l’autorité suffisante pour avertir la chambre et pour poser au besoin la question de cabinet. Le parti de gouvernement qui, avant même que M. Thiers eût parlé, avait donné 274 voix à l’avis encore inconnu du gouvernement, ce parti s’est formé tout seul, très spontanément, et l’esprit de parti ne l’a pas plus aidé à se former que l’influence ministérielle. L’assemblée ne s’est pas partagée en républicains et en monarchistes : il y a des républicains sans passion, il est vrai, parmi les 274 ; il y a des monarchistes et des meilleurs parmi les 275. Le parti du gouvernement s’est donc formé à la chambre par la considération unique des dangers que courent le gouvernement, la société, le pays, et par l’idée des remèdes qu’il faut appliquer à ces dangers. Il a cru que les circonstances étaient en ce moment plus impératives que les doctrines. Il n’a point certes renoncé aux doctrines libé-