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mourant de faim et de froid des vivres avariés, des vêtemens usés et en lambeaux payés comme neufs, des chaussures qui n’avaient pas de semelles. Que de marchés frauduleux ! que de pots-de-vin infâmes prélevés sur la vie et la santé de nos enfans ! Il y a une commission de l’assemblée composée de soixante membres chargée d’examiner ces infamies, et, si nous en croyons ce qui se dit des premiers coups d’œil jetés par la commission dans ces étables d’Augias, il y a de quoi faire frémir non-seulement la probité publique, mais l’humanité, car toutes ces friponneries se sont soldées par des désastres nationaux, et par des misères et des morts individuelles dans nos bivouacs et dans nos hôpitaux. Cette commission de la chambre est et doit être une véritable chambre de justice, et une chambre de justice avec la publicité de notre temps, avec la conscience de magistrats appelés à venger l’intérêt public.

Qu’on soit tranquille. L’assemblée sait la mission non-seulement politique, mais administrative que lui ont donnée les élections du 8 février ; elle saura répondre à la confiance spontanée que le pays lui a témoignée. Elle agira comme il lui appartient d’agir quand l’heure sera venue. Elle le fera, non pas en s’immisçant mal à propos dans l’administration, mais en aidant le gouvernement à remettre en vigueur les bonnes pratiques administratives, à écarter les complications inutiles, fécondes en paperasses, stériles en actions, à détruire la centralisation dans la province, où elle représente seulement l’autocratie électorale des préfets de l’empire, à la conserver simplifiée dans les divers services publics, où elle représente l’unité nationale. L’assemblée nationale, qu’il est de mode de critiquer et de railler en ce moment, n’a ni les préjugés, ni les défauts qu’on lui prête. Nous sommes de l’avis de M. Langlois, qui a la bonne habitude de dire tout ce qu’il pense, et de braver les murmures de son parti : l’assemblée nationale est essentiellement et sincèrement libérale dans toutes ses sections, à droite comme à gauche. Les personnes qui la connaissent le mieux n’hésitent pas à répondre, quand on heur dit qu’elle est réactionnaire et légitimiste, qu’elle n’est réactionnaire que contre le régime de l’empire, et quant aux légitimistes, disent-ils, il serait impossible d’en trouver un seul comme ceux qui apportaient dans les chambres de 1832 et de 1834 les rancunes d’une récente défaite. Les légitimistes de nos jours n’ont point perdu leurs vieilles et généreuses traditions de famille ; mais ils laissent à leurs pères leurs impatiences et leurs illusions, ils sont de leur temps ; ils le comprennent, et respectent le passé sans vouloir le reproduire, même quand ils le pourraient.

L’assemblée nationale a surtout un mérite dont nul ne saurait plus douter ; elle renferme un véritable parti de gouvernement, d’autant meilleur qu’il s’est formé tout seul et par ses propres instincts, sans aucune influence et sans aucune intervention ministérielle. Ceci nous amène à dire un mot de la séance du samedi 8 avril, où M. Thiers a