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heurs de la guerre étrangère par les malheurs plus cruels encore de la guerre civile ? Ils n’appartiennent pas à la nationalité française, ceux qui oublient avec tant d’empressement les désastres présens de la patrie pour nous consoler par les espérances lointaines de la république universelle. Le trait le plus saillant et le plus triste de notre situation, c’est l’absence absolue de patriotisme. On renverse la colonne Vendôme sous prétexte qu’elle est une insulte permanente du vainqueur aux vaincus ; ne devrait-on pas songer que le moment qu’on prend pour rendre hommage à la fraternité des peuples est assez mal choisi, quand les Prussiens sont à Saint-Denis et nous regardent nous détruire ? Ne vaudrait-il pas mieux les priver de ce plaisir le plus tôt possible ? Justement des paroles de bon sens viennent de nous arriver de Versailles, apportées par quelques républicains qui sont au-dessus des soupçons. M. Thiers leur a confirmé « qu’il garantit l’existence de la république tant qu’il restera au pouvoir, qu’il a reçu un état républicain, et qu’il met son honneur à le conserver ; » il les a pleinement rassurés sur les franchises municipales de Paris, « qui jouira des privilèges des autres villes, qui sera mis enfin dans le droit commun, rien de plus, rien de moins. » Voilà, il nous le semble au moins, de quoi faire cesser bien des malentendus ; voilà le redressement des griefs qui ont fait prendre les armes à la population le 18 mars, et que le comité central alléguait dans ses affiches pour jeter d’abord le peuple dans la rue, et pour envoyer ensuite la garde nationale au rempart. Cet appel au bon sens public sera-t-il écouté ? Il n’est malheureusement pas possible de le croire. Nous sommes bien loin à cette heure de toutes ces revendications du premier moment. Il s’agit bien d’une simple réforme municipale, quand on fait appel à tous les proscrits des insurrections européennes, quand la commune, sortant à chaque instant des limites qu’elle s’était tracées, abolit la conscription et le budget des cultes, s’approprie les biens du clergé, prétend traiter directement avec les puissances, met la main sur les propriétés de la France, envoie ses commis prendre possession des ministères et ses barbouilleurs s’emparer des musées ! Ballottée sans trêve du socialisme au jacobinisme, se contredisant et se combattant tous les jours, éprouvée surtout par ce mal dont la France souffre depuis dix-huit ans, et qui est le symptôme des décadences, l’absence d’hommes politiques, la révolution du 18 mars ne sait pas ce qu’elle veut, et il est bien difficile de s’entendre avec elle parce qu’elle n’a point de programme formulé. Il y a donc peu d’espoir que ces tentatives de conciliation réussissent, et le sang français va couler de nouveau versé par des mains françaises.

L’armée, réorganisée par l’habile activité de M. Thiers, et rendue au sentiment du devoir par le patriotisme, voilà la grande conquête de cette quinzaine, et, si cette conquête n’a point encore son triomphe dans Paris, c’est qu’il faudrait, pour l’obtenir plus vite, verser plus de sang,