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vous voie ici. C’est pour vous, c’est pour moi ; mon salut est à ce prix !

La voix qui l’avait arraché à son délire l’appela de nouveau. Il jeta un adieu rapide à Gilberte, et s’éloigna tout effaré.

Bientôt après, M. de Porny rejoignit Mlle de Villepreux, qui avait regagné sa voiture. Du coin où elle s’était jetée, elle pouvait voir le petit Henri qui courait au-devant de son père. Ses yeux se remplirent de larmes qui coulaient silencieusement sur son visage. — Oui, murmura M. de Porny, vous ne parlez pas, et je vous entends ; une maison dans l’ombre, un enfant, le repos,… que de choses heureuses dans ce jardin !

Le cœur de Gilberte éclata. — Je ne dissimulerai pas avec vous, qui m’êtes si bon et si dévoué, répondit-elle ; j’avais pu croire que mon ambition n’allait pas au-delà des choses permises en souhaitant un mari qui m’aimât et à qui j’eusse consacré ma vie ; mais que les choses faciles sont impossibles ! Cette espérance qui m’a bercée, je ne l’ai plus. Ce qu’il en reste, vous l’avez vu,… un enfant qui n’est pas le mien, un pauvre être qui pousse vers moi un cri de détresse.

Les sanglots l’étouffèrent ; mais bientôt, se raidissant contre sa propre émotion : — Je suis venue non pour pleurer, mais pour remplir un devoir, reprit-elle. Qu’êtes-vous allé faire chez Mme de Genouillac ? Que lui avez-vous demandé ? Que vous a-t-elle dit ?

— Nous avons débattu les clauses d’une séparation ; notre conversation a été celle de deux hommes d’affaires. Je défendais nos intérêts, elle défendait les siens.

— Que voulez-vous dire ?

— Ne fallait-il pas rompre le lien qui l’attachait à M. de Varèze ?

— Oh ! à tout prix !

— Vous avez dit le mot. Et comment parvenir à ce résultat sans son libre consentement ? Celui qu’elle tient n’aurait jamais trouvé dans son cœur l’énergie de la quitter ; il fallait donc que ce fût elle qui fût intéressée à disparaître. J’ai pris le taureau par les cornes. J’ai heureusement l’habitude de ces sortes d’animaux malfaisans, et, au nom de la famille, je lui ai fait comprendre que son abandon lui rapporterait plus que sa fidélité.

— Et elle accepte ? s’écria Gilberte avec un accent où il y avait autant d’indignation que de joie.

Ç’a été une question de chiffres. Les débats clos, j’ai donné parole et j’espère que vous ratifierez mon traité.

— Oh ! je n’en discuterai pas les conditions. René sera libre ?

— Entièrement, puisqu’il sera seul. J’ai fait comprendre à cette