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difficile. Un soir, après l’avoir aidée à descendre de cheval pour remonter en voiture, il aperçut à ses pieds une rose que Mlle  de Villepreux avait laissée tomber de son corsage. Il la ramassa vivement et la porta à ses lèvres. Ce mouvement le surprit. Il regarda la fleur, qui était restée entre ses doigts, parut réfléchir, puis, se remettant en selle, s’enfonça dans le bois au grand trot. Il avait la tête basse comme un homme qui creuse une pensée, et, toujours la rose à la main : — Ce serait trop bête ! dit-il enfin.

Il appuya cette réflexion d’un haussement d’épaules, et poussa sa monture au galop pour se secouer.

Cette découverte d’un amour nouveau n’était point faite pour attrister M. de Porny, et ne changea rien à ses habitudes. Qui sait même si ce feu tardif ne mêlerait pas une saveur particulière aux oisivetés dont il avait besoin pour remplir sa vie ? On était alors an plein cœur du mois de mai, à cette époque brillante de l’année où une sève plus vive anime Paris et lui donne tout son éclat. Peu de jours après l’aventure de la rose, M. de Porny et Gilberte, que Mme  de Villepreux accompagnait de loin, passaient à pied le long des grands chênes de Madrid. L’ombre se faisait. Les fenêtres éclairées du restaurant brillaient et projetaient des traînées de lumière sur les pelouses. Des rires s’en échappaient. Gilberte regardait du côté de ces clartés. Soudain dans l’encadrement se dessina une forme élégante et noire qu’elle reconnut aussitôt. René tenait un verre à la main. D’un geste vif, il le porta à ses lèvres. — À toi ! dit-il d’une voix claire en le vidant d’un trait.

Mlle  de Villepreux tressaillit. — Qu’y a-t-il ? demanda M. de Porny, qui venait de sentir le mouvement de son bras.

Il leva les yeux du côté où Gilberte avait les siens tournés. René avait disparu, et à sa place ; on apercevait la silhouette fine d’une femme dont la tête couronnée de cheveux rouges et frisottans, le profil chiffonné, se détachaient dans, le rayonnement du gaz. — Passons, dit M. de Porny, qui hâta le pas.

— Quelle est cette femme ? demanda Gilberte.

— Celle dont la main tambourine sur la vitre, là-bas ?

— Oui.

— Que vous importe ?

— Dites, toujours.

— Êtes-vous bizarre ! Que peut vous faire le nom d’une personne que vous n’êtes jamais appelée à rencontrer ?…

— Elle m’a paru jolie, et c’est pour cela que je vous ai demandé son nom. Je ne suis même pas sûre de ne l’avoir point vue dans une voiture, à la campagne, aux environs de Vichy.

— C’est bien possible. L’hiver au bal, l’été aux eaux, toujours au diable !