Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/729

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ah ! c’est René, murmura Mme de Villepreux.

Gilberte répondit par un signe de tête. — Est-ce qu’il y a quelque chose de louche entre vous deux ? reprit Mme de Villepreux.

Interrogée directement, Gilberte la mit en quelques mots précis au courant de ce qui venait de se passer. — Tu joues ta vie sur un coup de dé ! répliqua sa mère d’une voix un peu triste.

— Ne la joue-t-on pas un peu toujours, chère mère ? répondit Gilberte.

— Je connaissais M. de Vézin et je connais surtout M. de Varèze, c’est ce qui me fait peur.

— Et les hasards, les circonstances, les rencontres, les secrètes influences, le dessous des caractères, l’imprévu avec lequel il faut toujours calculer, les connaissez-vous ? M. de Vézin a trop de prétentions savamment dissimulées pour n’être pas formidablement ambitieux. Qui sait ce qu’une espérance déçue, un échec, peuvent apporter de modifications dans son humeur ? Le miel peut tourner en fiel. Avec M. de Varèze, point de ces surprises, il est tout uni. Je le sais par cœur. Il ne peut que s’améliorer. S’il ne change pas, je vieillirai auprès de vous telle que je suis. S’il change, comme je l’espère, nous ne nous quitterons pas davantage, mais lui sera avec nous.

— Dieu le veuille !

Gilberte revit M. de Varèze peu de jours après cet entretien. Elle l’entretint avec un air d’aisance qui l’étonna. Il ne comprenait rien à ce caractère droit et simple ; l’habitude des rases et des manèges de Paris, des réticences et des sous-entendus faisait qu’il se perdait dans cette franchise, comme un homme qui, au sortir d’un tunnel, est tout à coup ébloui par la pleine lumière du jour. Il ne pouvait s’empêcher de l’admirer beaucoup et de la craindre un peu. Sa grand’mère, Mme de Varèze, qui devinait Gilberte, l’adorait tout simplement. Bientôt leurs relations, toujours avenantes et cordiales du côté de Gilberte, devinrent gênées du côté de René. Il souffrait de cette supériorité qui éclatait sans effort et s’imposait. Il y avait des heures où il en était froissé. C’était une sorte d’humiliation qu’il subissait dans son orgueil… Mais n’était-ce pas un jeu que cet équilibre constant ? René voulut s’en assurer, et tourna autour de quelques Parisiennes qui étaient en villégiature aux environs. Un soir où l’on parlait de souper après le cotillon, Gilberte le prit à part. — Je n’ai point le droit de vous adresser des reproches, dit-elle ; vous ne m’avez rien promis, vous êtes libre ; seule, je me suis engagée ; mais ce n’est pas un motif pour chercher à me faire une peine inutile. Est-ce une épreuve ? Ce serait presque une injure que je ne mérite pas. Vous ne pouvez pas aimer ces personnes qui sem-