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ces capitaux se porter ailleurs et priver la société de leur concours indispensable : on les indemnisera donc de l’impôt, qui retombera comme toujours sur la consommation. Nous en avons eu en France un exemple tout récent. Lorsqu’on a mis une taxe du dixième sur le tarif des voyageurs en chemin de fer, le prix des places a été élevé en conséquence, et c’est le public qui a payé l’impôt. S’il s’agit de valeurs à intérêt fixe, comme la rente et les obligations, pour lesquelles il n’y a pas de compensation possible, la perte sera pour les détenteurs actuels. Ils subiront une diminution de revenu proportionnelle à l’impôt, et leur capital sera également réduit lorsqu’ils voudront vendre ; mais le préjudice s’arrêtera là. Celui qui achètera plus tard prendra en considération le produit net, déduction faite de toute charge, et, quand la rente ou l’obligation passera entre ses mains, elle sera comme si elle était affranchie de toute taxe : elle donnera le même revenu proportionnellement au capital.

On ne réfléchit pas assez à cette conséquence fatale de l’établissement d’un impôt sur les valeurs mobilières ; c’est une spoliation pure et simple de ceux qui les possèdent aujourd’hui, sans qu’elle atteigne ceux qui posséderont demain et sans qu’il en résulte plus d’égalité entre les deux élémens de la richesse publique. Cette égalité dépend de conditions autres que celles de l’impôt. Si on capitalise aujourd’hui la terre sur le pied de 3 pour 100, c’est parce qu’elle a des avantages que n’ont pas les placemens mobiliers. Elle offre plus de sécurité, présente plus d’avenir ; elle procure ensuite des agrémens, une influence politique et sociale, qui ont aussi leur valeur. Enfin elle est pour les habitans des campagnes, pour ceux qu’on appelle les paysans, comme une usine qu’ils font valoir eux-mêmes, et dont ils tirent plus de profit que s’ils avaient le même capital employé autrement. Tout cela fait que la terre est plus recherchée que les autres placemens, et, étant plus recherchée, on la paie plus cher comparativement au revenu qu’elle donne. Ce n’est pas un impôt sur les valeurs mobilières qui modifierait cette situation : il n’ajouterait rien au revenu de la propriété foncière, dût-on en appliquer le montant à dégrever celle-ci. Les propriétaires actuels seuls profiteraient du dégrèvement ; ceux qui viendraient après achèteraient d’autant plus cher, et la même inégalité, je le répète, subsisterait entre le revenu des deux branches de la richesse publique.

Avant la guerre, on parlait beaucoup de ce dégrèvement de la propriété foncière, il ne peut plus en être question maintenant ; mais, comme c’est une idée qui se reproduira un jour ou l’autre, il n’est peut-être pas inutile de l’examiner. L’impôt foncier, avons-nous dit, est aujourd’hui d’un tiers moins élevé qu’en 1791 ; il ne peut donc être oppressif. De plus, comme il est entré depuis long-