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campagne est divisée en communes, en cantons et en districts. Le village russe est une association de paysans qui a quelque rapport avec le couvent. Ils vivent sur leurs propres terres, sont gouvernés par des chefs qu’ils ont élus et par des coutumes immuables ; mais, comme ils ne fuient pas le monde, comme le mariage est en honneur parmi eux, on pourrait mieux comparer leur association à un phalanstère. La propriété proprement dite n’existe pas. La terre est divisée en autant de lots qu’il y a de familles, et, le nombre des ménages variant sans cesse par suite des mariages et des décès, une nouvelle répartition a lieu tous les trois ans. Chaque feu a sa part de la terre arable, de la forêt et du terrain potager. Cette répartition se fait en assemblée générale ; on tient compte de la qualité de la terre et de l’éloignement du centre. Tous les chefs de famille ont les mêmes droits. Ils élisent eux-mêmes leur maire, se réunissent en assemblées, débattent leurs intérêts, et prennent des décisions qui ont force de loi dans les limites de leur commune. Tous exercent une autorité absolue sur chacun ; ils peuvent déposer leur maire quand bon leur semble et le remplacer par qui leur plaît. Il est rare cependant que le maire soit cassé. Cette dignité est en général peu recherchée. L’ignorance des paysans rendant le maire responsable de tous les maux qui frappent la commune, il arrive souvent qu’un paysan riche se met en frais pour éviter d’être élu : il paie les voix qu’on ne lui donnera pas. L’élection a lieu par acclamation, et, lorsque l’individu choisi, généralement l’un des plus riches de la commune, a accepté par un signe de tête, on se porte en masse dans les cabarets ; là on s’embrasse, on se serre les mains, on boit aux frais du nouveau starosta. Son mandat est de trois ans, et pendant cette période il est revêtu d’un pouvoir presque illimité : il peut encore, appuyé par l’assemblée, condamner à la peine du bâton, bien que l’empereur Alexandre ait aboli dans son empire cette barbare pénalité ; il peut aussi prendre une décision qui envoie pour la vie un innocent en Sibérie. Le cas est fréquent. Lorsqu’un homme a le malheur de s’attirer le mépris ou la haine de ses voisins, il est appelé à comparaître devant l’assemblée générale, convoquée et présidée par le maire. Déclaré coupable, il est chassé, expulsé de la commune. Le maire peut requérir la police pour le faire mettre en prison dans le chef-lieu du district. Quand bien même cet homme serait innocent, il est à jamais perdu. Le gouvernement ne peut ni forcer sa commune à le recevoir, ni engager une autre commune à l’admettre, ni le placer dans aucune ville. Les mines ou l’armée, il n’y a plus d’autre alternative pour ce paria du village russe. Le pouvoir du maire va si loin, qu’il peut casser la sentence d’un tribunal supérieur. Un membre de la commune est-il accusé d’avoir voulu mettre, le feu à un bâtiment quelconque, appréhendé, il est