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ses impositions, même celles de l’année commencée. 5° Il doit prouver à l’administration de son canton qu’il a rempli toutes ses obligations. 6° Il doit être libre de toute poursuite judiciaire. 7° Il doit avoir pourvu aux besoins de tous ceux de sa famille qu’il laissera derrière lui. 8° Il doit avoir payé tous les arriérés dus au seigneur sur la terre qui lui a été allouée. 9° Il doit enfin produire un certificat des autorités de la commune où il veut se fixer, constatant qu’il est acquéreur d’un lot de terres situé à moins de 10 milles du village et double de celui qu’il possédait.

Ces mesures réussiront-elles à guérir les Russes de l’amour de la vie nomade ? Le temps seul pourra répondre. Comme toutes les réformes qui changent radicalement la face d’une société, l’acte d’émancipation fut accueilli avec défiance dans plusieurs provinces. Le mécontentement était général. Les serfs reçoivent trop, disaient les seigneurs. Les seigneurs conservent trop, disaient les serfs. Parfois même les paysans refusèrent d’entendre la lecture du rescrit impérial faite à l’église par le prêtre, prétendant que c’était une pièce forgée par les seigneurs dans leur propre intérêt. Dans deux provinces, ils se révoltèrent ; mais le calme se rétablit bientôt, et les salutaires effets de la liberté ne tardèrent pas à se faire sentir partout malgré les sombres prédictions des adorateurs du passé. L’étranger qui parcourt les campagnes remarque que les paysans sont mieux vêtus, mieux nourris, mieux logés. Le bien-être se glisse chez eux ; les femmes se soignent davantage et soignent mieux leurs enfans. La maison du laboureur a subi un changement notable : ce n’est plus la cabane d’un esclave, c’est la demeure d’un homme libre.


IV.

Il ne faut cependant pas être trop optimiste. Une nation est un édifice complexe que le temps construit, et auquel chaque siècle apporte sa pierre. La restauration d’une partie ne saurait être complète qu’autant que toutes les autres s’harmonisent avec elle. Ce travail d’ensemble se fera pour la Russie, on n’en saurait douter ; mais pour le moment bien des institutions, des coutumes, des lois, des mœurs, empêchent l’acte d’affranchissement de produire tous ses fruits.

Une de ces institutions, sur le mérite de laquelle les écrivains et les économistes ne sont pas d’accord, est le système communal. Les uns le louent outre mesure, et se figurent qu’il porte en germe tous les progrès possibles ; d’autres au contraire n’y voient que des défauts, et prédisent qu’il sera la pierre d’achoppement, le perpétuel obstacle au plein développement de la liberté individuelle. Dans la Grande-Russie, cette vaste contrée occupée par le Russe pur sang, la