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ferrée qui existât lors de son avènement était celle de Saint-Pétersbourg à Moscou ; celle de Varsovie n’était que commencée.

Ces grâces, ces réformes, ces progrès, n’étaient qu’un acheminement vers l’œuvre importante, celle qui tenait au cœur d’Alexandre, et par laquelle il voulait élever son pays au niveau des grandes nations européennes, l’émancipation des serfs. La constitution de la société russe la rendait singulièrement complexe. Le nombre des possesseurs de serfs s’était accru outre mesure par l’augmentation incessante de la classe noble ; le chiffre de la population et le nombre des travailleurs étaient hors de proportion avec l’étendue des terres. Il y avait à craindre que, sous le régime de la liberté, l’agriculture ne fût complètement délaissée, et que la prospérité du pays ne fût par là sérieusement compromise. C’est ce qu’on ne cessa de répéter au tsar ; mais ces considérations ne l’arrêtèrent pas. Elles avaient leur valeur sans doute, mais elles ne contrebalançaient pas un mal de la nature du servage. Et n’avait-il pas l’exemple de l’Autriche, qui avait accompli en 1848 son grand acte d’émancipation, accordant aux paysans, moyennant indemnité, la propriété de la terre qu’ils cultivaient à titre de tenanciers corvéables ? Les résultats de cette mesure avaient été des plus heureux, pourquoi n’en serait-il pas de même en Russie ? Toutefois, avant de commencer son œuvre, il voulut se rendre compte par lui-même de l’état des choses, consulter les hommes de toutes les classes, étudier les aspirations des uns et les craintes des autres. Il fit un voyage dans une grande partie de ses états, et revint chargé d’informations. Dès son retour, il ordonna la formation d’un comité qu’il chargea du travail préliminaire sur la marche qu’il faudrait suivre. Ce travail fut publié en novembre 1857, sous la forme d’un rescrit. À partir de ce moment, le concours d’aides nombreux ne lui fit pas défaut. Il suffit de le voir résolu à exécuter son plan pour que ceux qui d’abord y faisaient la plus vive opposition se rangeassent de son côté. La noblesse de trois gouvernemens se hâta de lui demander l’autorisation d’examiner et au besoin de résoudre le problème de l’affranchissement. Alexandre répondit en envoyant le règlement préparatoire du comité et en autorisant les gouverneurs de ces trois provinces, puis ceux de toutes les autres, à convoquer la noblesse pour élaborer dans un délai de six mois un projet sur les moyens les plus propres à faciliter l’exécution de l’œuvre, en prenant pour base le rapport du comité.

La publication de ce projet et la convocation des assemblées nobiliaires produisirent une secousse dans l’empire. L’ignorance des serfs faillit leur être fatale. Anticipant sur les résultats de ce travail gigantesque, ils s’imaginèrent que, la volonté de l’empereur faisant loi, leur liberté était accordée déjà, qu’elle était incondi-