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se soustrayaient à la domination mongole. Déjà en 1378 et 1380, Dmitri IV remporte des avantages sur les Tartares. Ceux-ci prennent un moment leur revanche ; mais leur puissance s’affaiblit, la division est dans leurs rangs, et l’immense empire de Gengiskhan se démembre. Attaqués du côté de l’Orient, ils offrent moins de résistance aux Russes, qui prennent l’offensive, et les poursuivent jusque chez eux. Ivan III détruit le khanat de Kaptchak, et son successeur, Ivan IV, dit le Terrible, après s’être emparé des deux autres khanats, anéantit en 1554 la puissance des Tartares.

Mais alors tout était à refaire. Quand Ivan se vit seul maître de la Grande-Russie, il ne trouva que d’immenses plaines dévastées, des champs abandonnés, des villages détruits ; plus de routes, plus aucune sécurité pour le voyageur. Des milliers de mendians et de vagabonds, protégés par le manteau de pèlerin, erraient dans ces vastes déserts, vivant aux dépens des quelques travailleurs restés à leur poste. Comment rappeler le cultivateur à ses champs et le fixer au sol ? La cour de Moscou n’épargna aucun effort, elle ne négligea aucun moyen pour repeupler la campagne. Elle usa tantôt de persuasion, tantôt de violence, et créa enfin la classe des krepostnoi, hommes attachés à la terre. Elle crut avoir résolu le plus difficile, le plus compliqué des problèmes, et avoir assuré le bien-être du paysan en le rendant possesseur de la, terre qu’il arrose de ses sueurs. Elle ne voyait pas que cette possession immuable, basée sur le travail forcé, n’était autre que l’esclavage ; elle le comprenait si peu, qu’elle choisit la plus grande fête des Russes, celle de saint George, pour annoncer aux laboureurs qu’à partir de ce moment personne ne pourrait les expulser de leurs terres, et qu’en retour de ces riches concessions on n’exigeait d’eux que de l’activité.

La couronne considéra cette importante mesure comme un acte de colonisation. Elle distribua des millions d’acres aux paysans ; ils devaient en payer les impôts, servir leur pays en temps de guerre, et il leur était interdit d’échanger une terre pour une autre, de quitter un village pour s’établir dans un autre. Jusque-là cependant, cette mesure pouvait contribuer au bien du pays ; mais le tsar nomma des inspecteurs chargés de surveiller les paysans, de s’assurer qu’ils étaient fidèles à leurs obligations, de les forcer au besoin à travailler suffisamment le sol pour le rendre fertile. Ces inspecteurs, choisis parmi les boyards et les voïvodes, avaient été élevés dans les coutumes tartares, coutumes qui préconisaient le bâton comme signe d’autorité à tous les degrés de la hiérarchie mongole ; il marquait le droit à l’obéissance. La Russie était devenue tartare de mœurs. Ivan le Terrible tue son fils aîné, jeune homme qui donnait de grandes espérances, en le frappant à la tête avec un bâton. Le tsar frappe le boyard, celui-ci frappe ceux