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voir indépendant ne tarda pas lui-même à porter ombrage à la couronne. C’était une barrière à son autocratie, barrière peu redoutable, il est vrai, mais qui la gênait. C’est pourquoi, à la mort du patriarche Adrien, en 1700, Pierre Ier, prévoyant l’opposition que l’église ferait à ses projets de rénovation, ne le remplaça point. Le 21 janvier 1721, un ukase apprit aux Russes que cette dignité était remplacée par un saint-synode dont le tsar se constituait le modérateur et juge suprême. Ce synode est composé d’évêques et d’archimandrites nommés par la couronne et révocables par elle.

L’église gréco-russe renferme des traits qui ne se retrouvent dans aucune autre église. Elle possède deux catégories de prêtres : le clergé blanc et le clergé noir. Le premier compte tous les des servans, les curés, les séculiers, en général tous ceux qui sont à la tête d’une paroisse. Tous les membres du clergé blanc doivent être mariés. La loi était si rigoureuse à cet égard, qu’un diacre devait au moins être fiancé pour obtenir une cure. Remplir les cadres de ce clergé n’était pas facile : il était mal rétribué, et sa position des plus précaires ; mais la loi y pourvut en contraignant tous les fils de prêtres à entrer dans les ordres. De là, le dicton russe : fils de prêtre, toujours prêtre. Le clergé devint ainsi une classe à part, une caste, comme chez les Tartares et chez les Juifs. Chercher des vocations, choisir des hommes pieux, il n’en était nullement question, et ce corps fut bientôt, si l’on en croit les écrivains et les moralistes nationaux, ignorant et vicieux ; le dégoût, l’hypocrisie, le découragement, y régnaient en maîtres, ainsi qu’il arrive toutes les fois que les hommes sont forcés de revêtir un caractère qui n’est pas le leur, de suivre une profession pour laquelle ils n’ont aucune sympathie. Grâce à cette loi, la caste du clergé blanc compte 540,000 âmes ; mais Alexandre la révoqua en 1869, et rendit l’église accessible à tous ceux qui se sentent une vocation. Depuis, les enfans des prêtres sont libres d’embrasser telle carrière qu’il leur plaît. Cette réforme causa une émotion extrême dans les rangs du clergé noir, qui redoute de voir toucher à ses prérogatives. Le clergé noir ne saurait être appelé un clergé régulier, puisqu’il n’est pas exclusivement cloîtré ; cependant il faut, pour en faire partie, renoncer à la vie conjugale, avoir fait des vœux, être revêtu du costume monastique ; en un mot, il faut être moine. Ses membres sont au nombre de dix mille, et c’est parmi eux que l’on recrute tous les hauts fonctionnaires de l’église, évêques, archevêques, métropolitains, archimandrites. Un puissant esprit de corps règne dans le clergé noir, et il domine par ses privilèges, son influence, ses immenses richesses conventuelles. On l’accuse d’être paresseux, ignorant et prodigue. La partie éclairée et libérale de la nation voit en lui l’ennemi déclaré de tout pro-