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Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale, par M. Léopold Delisle, membre de l’Institut, bibliothécaire an département des manuscrits, tome Ier ; Paris, Imprimerie nationale.



Un poète a dit que les livres avaient leur histoire ; c’est encore bien plus vrai des bibliothèques, surtout de celles qui, n’appartenant pas à des particuliers, ne sont pas sujettes à périr avec eux, ou même avant eux. Les grandes collections qui sont la propriété de l’état durent autant que lui. Plusieurs d’entre elles ont déjà un passé respectable ; pendant des siècles, elles ont, comme l’état lui-même, traversé des fortunes diverses, et l’on peut trouver un grand intérêt à les suivre depuis leurs humbles débuts jusqu’à leur prospérité présente. C’est ce que M. Léopold Delisle vient de faire avec autant de science que d’amour pour le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale, dont il est l’un des gardiens. Ce trésor, le plus riche peut-être du monde, est aussi celui qui est le plus fréquemment consulté par tous les savans de l’Europe ; il leur importe de savoir comment il s’est formé, d’où lui sont venus les ouvrages qui le composent, et, pour qu’ils puissent les consulter en toute confiance, il n’est pas inutile que l’origine en soit bien constatée. Le livre de M. Delisle, en nous apprenant, pour la plupart d’entre eux, à quelles collections ils ont jadis appartenu, par quelles mains ils ont successivement passé et à quelle époque ils sont entrés dans notre dépôt national, rendra donc les plus grands services aux érudits, et, ce qui ne gâte rien, il se trouve être en même temps fort intéressant pour les curieux.

M. Delisle remonte aux origines de la Bibliothèque du roi, et il rencontre d’abord la célèbre librairie de Charles V. Ce prince, « qui avait toujours aimé les sciences, et honoré les bons clers, » témoignait aussi beaucoup de goût pour les livres. Il en avait réuni un grand nombre, qui furent déposés au château du Louvre, dans la tour de la Fauconnerie, qu’il avait fait reconstruire. La librairie du Louvre fut célébrée comme une merveille par tous les contemporains. Le valet de chambre du roi, Gilles Mallet, « qui sur tous aultres souverainement bien lisait, » en eut la garde et en dressa soigneusement le catalogue. Ce catalogue, dont on a conservé plusieurs exemplaires, est un des monumens les plus curieux de l’histoire littéraire du moyen âge. On y voit quels ouvrages étaient alors surtout recherchés et par quelles lectures se formait l’esprit des savans hommes de ce temps. Le mélange est parfois très singulier ; les chefs-d’œuvre de l’antiquité s’y rencontrent à côté des romans de chevalerie. Tite-Live, Salluste, y figurent auprès des récits