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borner son ambition au seul mérite de l’à-propos. Sans excéder de beaucoup les limites du plan qu’il s’était tracé, il aurait pu, je crois, donner à son travail plus de valeur et une portée plus haute. On dirait « une conférence » développée sur les invasions germaniques. Or ce genre a le tort bien connu de s’arrêter à la surface des choses et de ne pas sortir des généralités. De sorte que, tout en manifestant un louable désir de combler les lacunes de nos connaissances historiques et de suppléer aux notions trop rapides dont le public se contente, l’auteur n’est pas exempt du défaut très répandu qu’il veut combattre. Pour rendre son livre « populaire » et son bagage plus léger, il a supprimé les détails précis, les traits significatifs qui donnent la vie à l’histoire et impriment à chaque événement sa marque propre. — On a beau nous dire « qu’on ne prétend nullement nous offrir un livre de science ; » outre qu’il ne faut pas abuser de cette facile abdication, une science bien digérée se passe volontiers d’in-folio, et, dans sa concision pleine de choses, s’accommode des proportions d’un cadre modeste. Suivant le mot de Montesquieu sur Tacite, « elle abrège tout aisément parce que son regard embrasse et pénètre tout. »

Ne pouvait-on pas nous expliquer pourquoi, parmi ces invasions, les unes ont réussi, les autres ont échoué ? L’ouvrage y aurait gagné l’unité qui lui manque et un sérieux intérêt qui ne l’eût point diminué dans l’esprit du lecteur. On sait ce qu’était cette société gallo-romaine, proie inerte, butin sanglant resté aux mains des barbares du ve siècle. C’était un monde de rhéteurs et de beaux esprits, accoutumés à cacher sous le mensonge de grands mots le vide de leur cœur et la bassesse de leur conduite, fort habiles à rire des envahisseurs, à les injurier de loin, plus prompts encore à trembler en leur présence. Ridemus barbaros et timemus, comme dit Salvien. C’était aussi une armée de soldats dégénérés, sans discipline, courageux contre leurs chefs, lâches en face de l’ennemi. La vigueur farouche des hommes du nord entra presque sans coup férir dans la mollesse et l’élégante corruption de ce peuple égoïste. Voyez au contraire la France de Philippe-Auguste, de Henri IV, de Louis XIII, et de la première république, cette France que l’Allemagne coalisée est impuissante à entamer : comme elle est saine et robuste ! L’union est dans les cœurs, le concert dans les volontés ; nul sophisme dissolvant, nulle ambition criminelle ne vient énerver un patriotisme sincère et sans phrases ; la foi aux destinées du pays confond dans un égal dévoûment et ceux qui commandent et ceux qui obéissent.

Quand M. Heinrieh écrivait, au mois de janvier, l’histoire des anciennes invasions, l’événement n’avait pas encore prononcé en dernier ressort sur la guerre de 1870 ; aussi exprime-t-il en terminant des espérances immédiates qu’un bon citoyen doit conserver et surtout manifester jusqu’à la fin, lors même que sa raison se refuserait à y souscrire.