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Tibre. — Convaincu aussi que les remèdes étaient inefficaces, il conseillait l’abatage des animaux à la première atteinte du mal, et loue le pape Clément XI, dont il était le médecin, au sujet des indemnités accordées par ce pontife aux cultivateurs qui avaient éprouvé des pertes par suite de l’épizootie. Il ne négligea point de s’occuper du repeuplement du pays en bétail, fit défendre de tuer les veaux pour la boucherie, et recommanda l’importation dans la plaine du bétail sain des montagnes, qu’il faisait soumettre à une quarantaine. Combien de millions anéantis par les ravages de la peste bovine eussent pu être conservés à l’Europe occidentale, si les conseils de Lancisi avaient toujours été suivis !

Ces deux médecins indiquent à peu près de la même manière comment se fit l’importation de la peste bovine en Italie. Le commerce ayant introduit, comme d’habitude, des rives orientales de l’Adriatique dans la Vénétie et le Milanais des bœufs de la Hongrie, un de ces animaux fut perdu, abandonné dans la campagne. Conduit par un domestique dans une ferme du comte Borromée, il communiqua la maladie aux animaux de l’exploitation, qui en moururent tous, à l’exception d’un seul. Du territoire de Padoue, où se trouvait ce domaine, la maladie envahit tout le Milanais, le duché de Ferrare, la campagne de Rome, le royaume de Naples. D’après le comte Borromée, on ne pouvait en expliquer la propagation par le déplacement des animaux ; mais Lancisi combattit cette opinion en citant des faits observés dans les cas de peste de l’homme, et même des faits constatés sur les bestiaux, en prouvant que la contagion peut s’opérer par l’intermédiaire des hommes, des chiens, des oiseaux, même de corps inanimés, des étoffes, des fourrages, etc. Vallisneri avait de son côté publié des faits ayant la même signification. La maladie régna longtemps en Italie, mais il est difficile d’admettre que ce fut par suite de la même infection. Il est plus probable qu’elle y était de temps en temps importée. Ce qui le fait supposer, c’est que les Italiens voulurent cesser le commerce auquel ils croyaient devoir en attribuer l’introduction. « Les villes de Venise et de Padoue, dit Paulet, qui depuis un temps immémorial tiraient leurs bœufs de la Hongrie et de la Dalmatie pour leurs usages ordinaires, ont été si souvent exposées aux dangers qui résultent d’un pareil commerce, qu’elles ont été obligées enfin d’y renoncer entièrement[1]. »

  1. Fracastor, qui d’après Vicq-d’Azyr est le premier qui ait décrit une maladie semblable à l’épizootie de 1775, l’avait observée en 1514 sur les bœufs du territoire de Vérone. C’était, selon, les auteurs, une fièvre pestilentielle exanthémateuse provenant des environs de Venise, où elle avait été importée de la Dalmatie. En 1690, Ramazzini avait aussi traité dans le voisinage de Padoue une épizootie présentant les mêmes caractères. Ces épizooties avaient été importées en Italie par des bœufs venus de l’autre rive de l’Adriatique, ce qui doit nous faire supposer, lors même que nous ne connaissons les caractères symptomatiques et cadavériques que d’une manière incomplète, qu’elles étaient de la nature de l’épizootie actuelle. Et l’on conçoit ainsi que les Vénitiens, s’apercevant enfin dans le xviiie siècle des dangers que leur faisait courir l’importation des bestiaux de la Hongrie et de la Dalmatie, aient pris la résolution rapportée par Paulet.