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nous avons fourni tant d’exemples ? Le Napoléon est construit, et désormais notre marine ne comptera plus que des vaisseaux du même type. Nos ouvriers se mettent à l’œuvre, et, à grands renforts de millions, la transformation s’achève. Voilà cependant qu’après nos lourdes batteries flottantes la Gloire, « le premier cuirassé qui ait flotté sur l’océan, » vient bouleverser toutes les idées reçues, et aussitôt nos ouvriers se remettent à l’œuvre ; 7 ou 8 frégates du même modèle, construites à la fois, sont lancées sur les flots, et ces frégates sont un moment les gages certains d’une supériorité incontestable. Triomphe éphémère ! L’artillerie entre en lice, les plaques de la Gloire ne sont plus capables de résister aux lourds projectiles des canons qu’on vient de créer. La Gloire et les frégates ses sœurs doivent céder le pas à de nouveaux émules construits sur un nouveau type. Ces types se multiplient : qu’importe ? nos constructeurs ont été dépassés, mais ils ont ouvert la voie, et ils se maintiendront à la première place. Le Solferino, le Magenta, dominent les mers, sans rivaux possibles. Illusion bientôt déçue : voilà de nouveaux navires dont les propriétés manœuvrières sont telles qu’un des officiers les plus entreprenans, mais aussi des plus expérimentés et des plus instruits de notre marine, disait « qu’il se ferait fort avec le Taureau d’accepter un duel avec le Solferino. » Vite un autre type, et, sans nous lasser d’entasser millions sur millions, surtout sans perdre notre vaniteuse confiance, poursuivons nos efforts et créons à nouveau notre flotte de combat sur un type à la hauteur de tous les progrès, satisfaisant aux besoins, toujours plus divers et plus nombreux, de cette supériorité qui nous échappe. Entre le Solferino et le Taureau, n’y a-t-il pas place pour le type définitif ? La Belliqueuse sera ce type, et 8 ou 10 corvettes sont construites.

Est-ce à dire que nous voulions rejeter ici nos dépenses sur M. Dupuy de Lôme, sur un homme dont les œuvres compteront certainement dans l’histoire des progrès accomplis par la science moderne ? Loin de nous cette pensée. Tous, nous participons à l’esprit de notre époque, et nous subissons l’influence des idées qui prévalent dans la société où il nous est donné de vivre. L’affaissement des esprits et des consciences, qui a rendu possible le régime politique de ces vingt dernières années, en créant l’omnipotence personnelle du souverain, créait aussi, comme conséquence logique, l’omnipotence de tous ceux qui étaient placés à la tête d’une administration publique. Par une conséquence aussi inévitable, ceux qui étaient tentés de réagir contre le courant étaient mis à l’écart et réduits à l’impuissance, tandis que le grand nombre, séduit, entraîné par la grandeur souvent apparente, mais souvent réelle aussi, des résultats obtenus, ne trouvait que des éloges et