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gnemens, les détails d’une expédition sur les côtes de la Baltique. Divers plans étaient discutés par eux : les uns se contentaient d’annoncer le débarquement de nos matelots, précédé ou suivi du bombardement des villes situées sur le littoral ; les autres parlaient au contraire d’une vaste opération militaire où la marine ne jouait que le second rôle, puisque son objectif principal était le transport d’une armée entière dans les provinces septentrionales de l’Allemagne. Cette fois du moins les révélations de la presse furent inutiles, et ces projets, auxquels la France entière a cru pendant longtemps avec cette ardeur d’espérance qui nous caractérise, n’ont pas dû éveiller dans l’esprit de M. de Moltke ou dans celui de M. de Bismarck de bien sérieuses appréhensions. Tous deux connaissaient trop bien et l’esprit qui nous animait et l’effectif réel de nos forces militaires pour craindre soit le bombardement et l’incendie de cités pacifiques et commerciales, soit le débarquement d’une armée sérieuse sur les côtes de la Baltique. Toutes les forces françaises, ils en étaient sûrs, étaient concentrées sur la frontière du Rhin, qu’elles ne suffisaient même pas à couvrir ; les seules troupes qui furent mises à la disposition du général distingué, un moment chargé de cette opération, ne consistaient qu’en quelques régimens d’infanterie de marine qui, peu de jours plus tard, formaient cette division dont la bravoure héroïque et la vaillante discipline jetèrent à Sedan un dernier éclat sur les derniers efforts de notre armée régulière. Cependant ce qui ne put alors être tenté faute de soldats ne peut-il être accompli dans l’avenir, et ne nous sera-t-il pas donné de voir se réaliser le rêve d’une armée entière transportée, comme autrefois de Varna en Crimée, des ports de la Manche sur les rivages ennemis ? Aux heures sombres que nous traversons, de tels rêves sont une consolation sans doute ; mais l’énergie virile que peut seule inspirer une raison éclairée doit se refuser à de telles espérances. La réalité, la raison des choses, les repoussent comme une illusion chimérique.

Une armée expéditionnaire ne peut franchir l’océan que sur ces navires spéciaux qu’on appelle des transports, et aux conditions suivantes : 1,000 hommes par navire, en moyenne 500 chevaux par navire, ce qui, pour une armée de 30,000 hommes et de 3,000 chevaux, exige 36 navires. Ces navires ne peuvent naviguer à moins de 1 câble de distance l’un de l’autre, et tout au plus sur deux lignes de file, ce qui donne à la longueur de cette double ligne 3,600 mètres, chaque navire, beaupré compris, ayant une longueur moyenne de 100 mètres. Pour être compacte, et en réglant sa vitesse sur le plus mauvais marcheur, cette vitesse ne pourrait excéder 8 milles ; toute traversée exigerait donc, de la Manche aux rivages ennemis, au moins quarante-huit heures de navigation. Ceci posé, quel est celui de nos amiraux qui oserait se