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de la guerre comme sur un élément de succès, et qui plus tard ont soulevé tant d’accusations injustes, comme le sont les accusations de ceux qui ne savent pas et qui ne peuvent savoir.

La France, peut-être parce qu’elle est la nation qui marche en tête du progrès réel, j’entends celui des idées de justice, est le pays des inconséquences apparentes, du manque de logique, parce que les aspirations vers le progrès sont prises trop souvent pour la réalisation même de ce progrès. Si l’ordre ancien, qui était le règne de la force, a été profondément modifié, eu égard à l’état des sociétés modernes, il a néanmoins légué aux générations présentes et peut-être aux générations futures la fatalité de la guerre, comme un sanglant héritage qu’elles ne peuvent répudier. Or qu’est la guerre ? L’emploi de la force pour arriver à un but donné, c’est-à-dire la négation du droit, si bien que ces mots, les droits de la guerre, hurlent, suivant une expression énergique, de se trouver accouplés ensemble, et que, tant que la guerre pèsera sur l’humanité, ils ne seront que de vains mots, une expression de tendance, un idéal peut-être impossible à atteindre. Les Allemands nous ont montré quelle est la réalité de ces droits. Notre erreur à nous, erreur généreuse, a été d’y avoir cru, d’avoir obéi aux obligations qu’ils nous imposaient, de n’avoir pas compris ce qu’est la guerre, et que devant elle tombent logiquement toutes les considérations de justice, d’humanité et de civilisation, puisqu’elle en est la négation absolue, comme nos ennemis nous l’ont suffisamment démontré. Dès lors, que doit être une guerre maritime ? Justement celle que nous rejetions sous l’empire de nos aspirations vers la justice et vers l’humanité, et que nos représentans au congrès de Paris s’efforçaient naguère de rendre impossible. Une guerre de course, — une guerre dans laquelle les propriétés ennemies, aussi bien privées que publiques, doivent être anéanties par tous les moyens possibles, les navires de guerre ou de commerce incendiés, les marins qui les montent faits prisonniers pour toute la durée de la guerre, et cela régulièrement, systématiquement, avec une précision méthodique, comme les généraux allemands ont réquisitionné, pillé, dévasté, épuisé nos villes et nos campagnes. Il y huit mois, nous le savons par expérience, tous les esprits se seraient récriés en France à une telle définition de la guerre ; mais aujourd’hui qui pourrait en nier la justesse ? Une telle guerre est bien d’ailleurs celle qui est le mieux adaptée aux conditions des sociétés modernes ; elle les attaque dans leur base essentielle, la fortune privée, celle du peuple qui a voulu ou laissé déclarer les hostilités. Enfin elle est imposée par la logique même de l’histoire et celle des faits. N’est-elle pas une conséquence directe de l’impuissance des escadres, de l’impossibilité de la grande guerre, telle qu’on la comprenait autrefois et telle que la résument