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usages funestes, contraires à la liberté des citoyens, ou pour faire la guerre dans des intérêts purement personnels. Il y a du vrai dans cette idée ; mais il y a aussi de l’exagération. On traite trop l’état en ennemi de la société, comme s’il ne devait jamais rien faire d’avantageux pour elle. En définitive, c’est lui qui la représente, qui est chargé de ses intérêts généraux, et à mesure que la société devient plus riche, elle a des besoins plus étendus ; il lui faut plus de routes, plus de chemins de fer, des ports en meilleur état, une dotation plus large pour l’instruction publique, des encouragemens plus nombreux pour les découvertes scientifiques ; il lui faut enfin les mille choses que le progrès et la civilisation comportent, qui n’étaient pas nécessaires hier, et qui le sont aujourd’hui. Il est bon que, pour faire face à tous ces besoins, l’état ait sa part dans la plus-value de la richesse. Il peut en abuser sans doute, mais il peut aussi en faire un très bon usage. Quelle réduction d’impôts vaudrait, pour le développement de la richesse et l’élévation du niveau moral, une dépense affectée à l’amélioration des routes et à l’extension de l’instruction publique ? C’est aux citoyens à veiller sur le bon emploi de leurs deniers, à faire qu’on leur donne toujours une destination utile. Il ne faudrait pas, pour empêcher un abus, priver l’état de la meilleure manière de se procurer des ressources.

En résumé, nous devons non-seulement garder nos taxes indirectes, mais en faire la principale base des surtaxes à établir, car elles peuvent les supporter sans qu’il en résulte un trouble profond dans notre économie sociale. On y est habitué, tous les rapports sont établis en conséquence. Avec elles, on sait sur quoi l’on peut compter, on est en mesure de calculer d’avance ce qu’elles rapporteront, tandis qu’avec des taxes nouvelles on se jette dans l’inconnu, et on peut éprouver de cruels mécomptes. C’est ici le cas de répéter le mot si justement célèbre et si prophétique adressé naguère par M. Thiers aux hommes de l’empire : « Il n’y a plus une faute à commettre. » En effet, la faute ici pourrait ruiner nos finances, nous mettre à jamais dans l’impossibilité d’équilibrer nos budgets. Toutefois, si les taxes indirectes sont destinées à nous donner la plus grosse partie des ressources extraordinaires dont nous allons avoir besoin, elles ne peuvent nous les fournir toutes. Les charges supplémentaires vont être trop considérables, et ce n’est pas une seule branche du revenu public qui peut y faire face. Il faut chercher ailleurs, examiner si parmi les autres impôts il y en a qui soient susceptibles d’augmentation, ou si on ne pourrait pas malgré tout en essayer de nouveaux sans trop d’inconvénient pour la richesse publique. Ce sera l’objet d’un prochain travail.

Victor Bonnet.