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connaissait les soucis que donnaient aux généraux prussiens ces hardis messagers qui planaient si tranquillement sur leurs têtes. L’organe officiel des autorités allemandes, le Nouvelliste de Versailles, devenu, depuis l’installation d’un préfet prussien, le Moniteur de Seine-et-Oise, avait décrété peine de mort contre les navigateurs aériens. Le patriotisme allemand s’était ému. M. Krupp avait fait présent au roi d’une machine assez semblable à une lunette astronomique montée sur un affût roulant, que l’on promena triomphalement dans les rues de Versailles, et que l’on baptisa du nom de Luft ballon canon. Nous ignorons ce qu’elle devint ; mais le silence des Allemands nous ferait croire que ses services ne répondirent pas aux espérances qu’elle avait fait concevoir.

Au milieu de cette vie d’anxiété et d’incertitude où la moindre rumeur, la moindre nouvelle, un journal apporté clandestinement, une lettre, l’arrivée d’un voyageur, une fusillade aux avant-postes, étaient des événemens, on devine quelle émotion s’empara de Versailles quand on apprit, le 14 octobre, qu’un général français venait d’y entrer, et que le jour même il avait eu de longues conférences avec M. de Bismarck, avec M. de Moltke, quelques-uns ajoutaient avec le roi. Qui était-il ? d’où venait-il ? quels intérêts l’appelaient au quartier-général ? Tous ceux qui ont vécu dans une ville transformée en une vaste prison comprendront ce que l’imagination publique forgea en quelques heures de conjectures, de romans et d’espérances. Deux jours après, cet inconnu repartit aussi mystérieusement qu’il était venu, toujours escorté de deux officiers prussiens qui l’avaient gardé à vue depuis son arrivée ; mais, avant même qu’il eût quitté Versailles, des indiscrétions habilement provoquées avaient révélé son nom et laissé deviner l’objet de sa mission. C’était le général Boyer, le confident bien connu du maréchal Bazaine, qui venait traiter avec M. de Bismarck d’une capitulation destinée à devenir l’avant-propos d’une restauration impériale, si on parvenait à s’entendre avec le gouvernement prussien. Le jour même de son départ, une lettre appelait l’attention du gouvernement de Tours sur ce grave incident, et le surlendemain partaient par une autre voie de nouvelles informations qui parvinrent également à leur adresse. La capitulation de Metz ne dut pas être une surprise pour ceux qui connaissaient les négociations entamées à Versailles.

Depuis quelques jours, les forts étaient silencieux, la voix puissante du Mont-Valérien ne se faisait entendre qu’à de rares intervalles ; la matinée du 21 octobre s’annonçait calme comme les journées précédentes et réchauffée par un soleil d’été. Tout à coup, vers une heure, le canon retentit sur toute la ligne de l’ouest avec une violence inaccoutumée : aux détonations de la grosse artillerie