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musique prussienne ne réussirent qu’à éloigner les promeneurs, et le spectacle des grandes eaux, en dépit des affiches qui y conviaient les habitans, n’attira d’autres curieux que les officiers et leurs soldats, les correspondans des journaux étrangers et quelques-uns de ces vagabonds sans patrie, chez lesquels il ne faut chercher ni la dignité de l’homme ni celle du citoyen.

Avouons-le pourtant : la première impression avait été favorable aux vainqueurs. Cet ordre, cette régularité, cette tenue sévère des officiers, ces mouvemens qui s’opéraient sans tumulte, sans éclats de trompettes et de tambours, sans luxe de commandemens, avec la précision d’une machine, avaient frappé tous les esprits. Beaucoup de gens, émerveillés de cette discipline et reconnaissans de n’avoir été ni pillés ni incendiés dès le premier jour, passaient avec une mobilité toute française de la terreur à la confiance, et s’inclinaient déjà devant la supériorité de la civilisation germanique. L’illusion fut de courte durée. On ne tarda pas à s’apercevoir que ces officiers si corrects, non contens de s’installer en maîtres dans les maisons dont ils devenaient les hôtes forcés et de reléguer dans un coin le légitime propriétaire, traitaient le mobilier en chose conquise, s’appropriaient sans scrupule et sans bruit ce qui leur plaisait, et souillaient le reste avec un oubli des règles les plus élémentaires de la propreté qui ne peut s’expliquer que par un mot d’ordre ; il nous répugne de croire qu’un peuple civilisé se livre, sans faire violence à ses instincts et à ses habitudes, à d’aussi brutales fantaisies.

Les autorités militaires, qui semblaient tout d’abord disposées à ménager les habitans, levaient peu à peu le masque. On avait promis le 19 septembre de laisser à la garde nationale ses armes et le soin de veiller à la police de la ville : on la désarma dès le lendemain sous prétexte que les engagemens pris étaient nuls, et qu’une ville ouverte n’avait aucun droit à obtenir une capitulation. Peu de jours après, une proclamation enjoignit à tous les détenteurs d’armes à feu, fusils de chasse, pistolets ou revolvers, de les déposer à la mairie. On s’engageait, il est vrai, à les restituer, et on délivrait aux propriétaires un reçu et un numéro d’ordre ; mais c’était là une formalité plutôt qu’une garantie. L’état-major avait des loisirs ; le gibier abondait aux environs de Versailles : les courses y étaient aussi pittoresques et moins dangereuses que dans les bois trop voisins de Paris où des accidens plus ou moins graves avaient découragé les promeneurs. Le prince de Wurtemberg, entre autres, en admirant du haut des collines de Saint-Cloud le panorama de Paris, avait eu le crâne effleuré par une balle, et depuis cette mésaventure il ne sortait plus que muni d’un large brassard à croix rouge