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bataille, l’action y avait été peu disputée. Des fusils, des casques et des képis semés çà et là dans les champs, pêle-mêle avec les débris de bouteilles qui attestaient le pillage des caves, une trentaine de chevaux morts couchés sur les monticules qui dominent le chemin de Bièvre, quelques cadavres épars dans les touffes de genêts et derrière les buissons, 200 ou 300 blessés français et prussiens dispersés dans les maisons de l’Abbaye ou entassés dans les bâtimens de la ferme de Villacoublay, telles étaient les traces du combat dont nous ne connaissions que trop l’issue, et qui n’avait pu retarder l’investissement de Paris.

De dix heures du matin à six heures du soir, près de deux corps d’armée défilèrent dans les rues de Versailles, suivis d’un énorme convoi de bagages et d’artillerie. Les casernes, les édifices publics, ne suffisaient pas à contenir cette multitude. On craignait qu’elle n’envahît les maisons ; on en fut quitte pour la peur, et, sauf quelques actes isolés de pillage ou de brutalité qui restèrent ignorés dans ce premier moment de trouble, tout se passa avec plus d’ordre qu’on n’eût osé l’espérer. Les feux de bivouac s’allumèrent sur les places et sur les avenues ; les soldats qui n’avaient pu trouver d’abri s’étendirent en plein air sur des bottes de paille. Le lendemain, la plus grande partie des troupes s’écoulèrent par les routes de Sèvres, de Ville-d’Avray, de Saint-Germain, et ne laissèrent à Versailles qu’une garnison permanente de 5,000 à 6,000 hommes, chiffre qui ne fut jamais dépassé pendant toute la durée du siège.

Dès les derniers jours de septembre, avant même que le général de Moltke eût paru à Versailles, son plan se dessinait de manière à frapper les yeux les moins clairvoyans. Le siège de Paris, ce paradoxe que nous n’avions même pas daigné discuter en France, était depuis quinze ans le rêve et le problème favori de l’état-major prussien. Il était peu de Parisiens à qui la carte des environs fût aussi familière qu’aux moindres officiers de l’armée allemande. Pas une maison, pas un pan de mur, pas un pli de terrain ne leur était inconnu. Tout était prévu, tout était calculé : les rôles étaient distribués d’avance. Malgré les fanfaronnades de quelques jeunes gens qui s’amusaient de la crédulité française, et qui annonçaient que tel jour et à telle heure on prendrait d’assaut le Mont-Valérien ou le fort de Vanves, personne ne songeait à une attaque de vive force. Une tentative de ce genre eût été en contradiction avec toutes les aptitudes et toutes les traditions de l’armée prussienne. L’esprit méthodique, le courage discipliné, mais passif, de la race germanique, n’auraient pu s’accommoder d’un de ces coups d’éclat où l’on risque en un jour le sort de toute une campagne. La guerre allemande est mathématique : la fantaisie n’y tient pas plus de place que dans une opéra-