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I.

Le 18 septembre, à dix heures du matin, le dernier train de Versailles partait pour Paris, en même temps que les escadrons de dragons et de cuirassiers formés avec les débris de Reischofen disparaissaient par la route de Rambouillet. Des paysans des environs rapportaient qu’on s’était battu à Juvisy, que l’ennemi avait franchi la Seine, et que sa cavalerie se montrait déjà dans la vallée de la Bièvre. Vers deux heures de l’après-midi, trois hussards prussiens se présentaient en parlementaires aux portes de Versailles. Ils étaient venus sans guide, à travers les bois, échappant aux patrouilles françaises qui erraient encore dans le voisinage. La garde nationale, qui occupait les barrières, les conduisit à la mairie : ils annoncèrent pour le soir même l’arrivée d’un corps considérable, et se retirèrent tranquillement au milieu d’une foule moitié curieuse, moitié irritée. Peu de minutes après leur départ, un brigadier de hussards français débouchait au galop en face de la préfecture : laissé en éclaireur avec quelques cavaliers dans la plaine de Satory, il venait d’apprendre l’approche des Prussiens et demandait à grands cris la route de Paris, que ni lui ni ses hommes ne connaissaient. On la lui indiqua, non sans faire de tristes réflexions sur cet incident insignifiant en apparence, mais qui expliquait bien des surprises et bien des malheurs. La soirée s’avançait : tout était calme au dehors, les bois paraissaient déserts et silencieux. Il semblait qu’un contre-ordre eût suspendu la marche de l’ennemi, ou qu’un obstacle imprévu l’eût arrêtée. L’énigme ne tarda pas à s’expliquer. Avant le jour, la ville se réveilla au bruit du canon et de la fusillade : une bataille était engagée, et les Prussiens avaient passé la nuit à tourner les positions que l’on savait occupées par nos troupes sur les plateaux de Châtillon et de Vélizy. A huit heures du matin, les barrières étaient encore fermées : devant la grille de la rue des Chantiers un groupe de uhlans et de dragons fumaient nonchalamment en attendant le résultat des pourparlers que les autorités de Versailles venaient d’engager avec le général commandant l’avant-garde du 5e corps. Des escadrons déployés remplissaient le champ de courses de Porchefontaine ; sur la route, des pionniers s’occupaient à combler les tranchées, qui n’avaient arrêté l’ennemi que le temps nécessaire pour briser un treillage et regagner la chaussée par un détour de quelques mètres. Sur les rampes qui gravissent le revers occidental du plateau de Vélizy, on voyait briller à travers les taillis et les branches encore vertes des arbres