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quaire, historien, physicien, casuiste même et théologien, dit Lebeau, il fut tout, autant qu’on peut l’être quand on est tant d’autres choses ; » mais, s’il n’a pas pu tout approfondir parce qu’il a voulu trop embrasser, si sa science est trop étendue pour n’être pas quelquefois un peu mince, on peut dire cependant que partout où il a passé il a laissé sa trace. Ce qui fait sa gloire principale, c’est qu’il aimait avec ardeur son pays, et qu’il en était fier malgré son abaissement. Il faut mettre son nom parmi ceux qui ont essayé de rendre à l’Italie le sentiment d’elle-même, qu’elle avait perdu, et qui ont préparé ses destinées nouvelles. Personne ne pouvait rêver alors pour elle l’indépendance politique. Il eut au moins la pensée de l’aider à reconquérir son indépendance littéraire. Elle n’avait plus depuis longtemps de théâtre sérieux ; la farce et le burlesque régnaient sur toutes les scènes, et, quand on voulait par hasard y représenter quelque pièce plus grave, on se contentait de traduire mot à mot les principales tragédies de Corneille et de Racine. Maffei souffrait de voir son pays subir cette servitude ; il n’était pas d’ailleurs de ceux qui admiraient sans réserve le théâtre français. L’étude attentive qu’il avait faite de l’antiquité lui avait ouvert les yeux sur les défauts de ces imitations incomplètes. Il n’y trouvait pas assez le goût de la nature et de la simplicité ; il ne pouvait souffrir ces tirades interminables qui viennent refroidir sans cesse les scènes de passion et de sentiment. « La marionnette (il figurino), disait-il, ne s’y présente que pour réciter sa kyrielle. » Afin d’arracher ses compatriotes à cette dépendance de l’étranger, il engagea Riccoboni, qui était à la tête de la meilleure troupe de comédiens d’Italie, à reprendre les tragédies du XVIe siècle, la Sophonisbe du Trissin, la Cléopâtre du Delphino, l’Oreste de Ruccelaï, le Torismond du Tasse, et, comme certaines parties de ces pièces avaient vieilli et n’auraient plus été souffertes au théâtre, il se chargea de les corriger pour les mettre à la mode du moment. Sa tentative ne réussit pas malgré la peine qu’il s’était donnée. Il se résolut alors à payer ouvertement de sa personne ; il eut l’idée hardie de rompre tout à fait avec son temps, d’écrire une tragédie sans amour, sans épisode, d’une sévérité antique, qui formât un contraste saisissant avec les puérilités et les fadeurs dans lesquelles se complaisait l’Italie. Il choisit le sujet qu’Aristote regarde comme le plus tragique de tous, et composa sa Mérope. Cette fois le succès fut complet. La divine Mérope, comme on l’appelait, parut sur toutes les scènes italiennes, et fut traduite dans toutes les langues du monde. Après avoir frappé ce coup, Maffei, dont l’ambition était insatiable, s’était jeté dans l’érudition. Il y avait introduit, ce qui était encore rare, le goût des conclusions générales et des vues d’ensemble. Sa Verona illustrata, où la science est traitée d’une manière si large, où sont