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formel aux prétentions du délégué. Se prononcera-t-il aussi contre la mesure qui vient de faire un si grand scandale, et dont le ministre de la justice a endossé la cruelle responsabilité ? L’atteinte portée ces jours-ci à l’inamovibilité de la magistrature a été pour nous, qui aimons et respectons Crémieux, une douloureuse stupéfaction. Certes les magistrats frappés par cette mesure n’ont pas nos sympathies ; mais détruire un principe pour punir quelques coupables, et se résoudre à un tel acte au moment de perdre le pouvoir, c’est inexplicable de la part d’un homme dont l’intelligence et la droiture d’intentions n’ont jamais été mises en doute, que je sache. Que s’est-il donc passé ? Cette verte vieillesse s’est-elle affaissée tout d’un coup sous la pression des exaltés ?

Le parti Gambetta était donc fermement convaincu que la guerre commençait, qu’il fallait entrer dans la voie des grandes mesures dictatoriales pour donner un nouvel élan à la France, et qu’on avait un an de lutte acharnée, ou une prochaine série de grandes victoires pour arriver au consulat ?

À Paris, on est triste, mais résigné ; il n’y a pas eu le moindre trouble, bien qu’on ait beaucoup donné à entendre pour nous effrayer. Il y a un système à la fois réactionnaire et républicain pour nous brouiller avec Paris ; les meneurs des deux partis s’y acharnent.

Nous apprenons enfin que l’armée de Bourbaki a passé en Suisse au moment d’être cernée et détruite. L’ignorait-on à Bordeaux ? À coup sûr, M. de Bismarck ne l’a pas laissé ignorer à Paris.

Le pauvre général Bourbaki n’est pas mort, bien qu’il se soit mis réellement une balle dans la tête. Les uns disent qu’il est légèrement blessé, d’autres qu’il l’est mortellement. Quoi qu’il en soit, il a voulu mourir ; c’est le seul général qui ait manqué de philosophie devant la défaite. Tous les autres se portent bien. Tant mieux pour ceux qui se sont bien battus !

4 février.

Les feuilles poussent aux arbres, mais nos beaux blés sont rentrés sous terre. La campagne, si charmante chez nous en cette saison, est d’un ton affreux. Des espaces immenses sont rasés par la gelée. Il est dit que nous perdrons tout, même l’espérance. M. de Bismarck nous envoie des dépêches ! Il déclare qu’il n’admet pas les incompatibilités de M. Gambetta. C’est lui qui nous protège contre notre gouvernement. C’est la scène grotesque passant à travers le drame sombre.

Lettres du midi. Ils sont effrayés. Le coup d’état les menace, disent-ils, de grands malheurs. Beaucoup de bons républicains vont voter pour les conservateurs. C’est une combinaison fortuite amenée par la situation.