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Le bois manque, le pain va manquer. L’exaltation des clubs va servir de prétexte à ce qui reste de bandits à Paris, — et il en reste toujours, — pour piller les vivres et peut-être les maisons. La majorité de la garde nationale parait irritée et blâme la douceur du général Trochu. Le général Vinoy est nommé gouverneur de Paris à sa place. Est-ce l’énergie, est-ce la patience qui peuvent sauver une pareille situation ? — Elle est sans exemple dans l’histoire. Les Prussiens sont-ils appelés à la résoudre en brûlant Paris ? On ne ferme pas l’œil de la nuit, on voudrait être mort jusqu’à demain, — et peut-être que demain, ce sera pire !

Dimanche 29 janvier.

C’en est fait ! Paris a capitulé, bien qu’on ne prononce pas encore ce mot-là. Un armistice est signé pour vingt et un jours. Convocation d’une assemblée de députés à Bordeaux : c’est Jules Favre qui a traité à Versailles. On va procéder, à la hâte aux élections. On ne sait rien de plus. Y aura-t-il ravitaillement pour le pauvre Paris affamé ? car il est affamé, la chose est claire à présent ! La paix sortira-t-elle de cette suspension d’armes ? Pourrons-nous communiquer avec Paris ? À quelles conditions a-t-on obtenu ce sursis au bombardement ? Il est impossible que l’ennemi n’ait pas exigé la reddition d’un ou de plusieurs forts. Il n’y a pas d’illusion à conserver ! Cela devait finir ainsi ! L’émeute a dû être plus grave qu’on ne l’a avoué. Les Prussiens en profitent. Malheureux agitateurs ! que le désastre, la honte et le désespoir du pays vous étouffent, si vous avez une conscience !

Le désordre et le dégoût où l’on a jeté la France, rendaient notre perte inévitable. Mais fallait-il laisser dire à nos ennemis : Ce peuple insensé se livre lui-même ! Les haines qui le divisent ont fait plus que nos boulets, plus que la famine elle-même !

Ah ! mécontens de Paris, vous qui accusez vos chefs de trahison, et vous aussi qui les abandonnez parce qu’ils veulent épargner la vie des émeutiers, si les choses sont comme elles paraissent, vous êtes tous bien coupables, mais si malheureux qu’on vous plaint tous et qu’on tâchera d’arracher de son cœur cette page de votre histoire pour ne se rappeler que cinq mois de patience, d’union, d’héroïsme véritable !

On vous plaint et on vous aime tous quand même : vous n’êtes plus écrasés par les bombes, vos pauvres enfans vont avoir du pain. On respire en dépit d’une douleur profonde, et on veut la paix, — oui, la paix au prix de notre dernier écu, pourvu que vous échappiez à cette torture ! Quant à moi, il était au-dessus de mes forces de la contempler plus longtemps, et j’avoue qu’en ce moment je