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qui restent crient vive l’ouvrier ! La noire façade armoriée du manoir de Jean de Brosse ne s’écroule pas à ce cri nouveau du xixe siècle. Les chouettes, stupéfiées par la lumière, reprennent silencieusement leur ronde dans la nuit grise.

4 octobre.

En somme, nous avons parlé doctrine et nullement politique. Est-il, ce que les circonstances réclament impérieusement, un homme pratique ? Je ne sais. Je ne serais pas la personne capable de le juger. Les opinions sont si divisées qu’en voulant faire pour le mieux on doit se heurter à tout et peut-être heurter tout le monde.

Le beau temps, qui est aujourd’hui synonyme de temps maudit, continue à tout dessécher. L’eau est encore plus rare ici qu’à Saint-Loup ; on va la chercher à une demi-lieue sur une côte rocheuse où les chevaux ont grand’peine à monter et à descendre les tonneaux. Nous l’économisons, quoiqu’elle ne le mérite guère ; elle est blanche et savonneuse.

Promenade dans les ravins. Je craignais de les trouver moins jolis d’en bas que d’en haut. Ils sont charmans partout et à toute heure : c’est un adorable pays. Après avoir longé la rivière, nous avons remonté au manoir par un escalier étourdissant : une centaine de mètres en zigzag, tantôt sur le roc, tantôt sur des gradins de terre soutenus par des planches, tantôt sur de vieilles dalles avec une sorte de rampe ; ailleurs un fil de fer est tendu d’un arbre à l’autre en cas de vertige. A chaque étage, de belles croupes de rocher ou de petits jardins en pente rapide, des arbres de temps en temps faisant berceau sur l’abîme. Ces gentils travaux sont, je crois, l’ouvrage des gendarmes, qui vivent dans une partie réservée du château et se livrent au jardinage et à l’élevage des lapins. Ce sont peut-être les mêmes gendarmes qui ont autrefois arrêté Maurice. Quoi qu’il en soit, nous vivons aujourd’hui en bons voisins, et ils nous permettent d’admirer leurs légumes. Mes petites-filles grimpent très bien et sans frayeur cette échelle au flanc du précipice. Moi je m’en tire encore bien, mais je suis éprouvée par cet air trop vif. On ne place pas impunément son nid, sans transition, à trois cents mètres plus haut que d’habitude.

Nous avons fait une trouvaille au fond du ravin. Sous un massif d’arbres, il y a à nos pieds une maisonnette rouge que nous ne voyions pas ; c’est un petit établissement de bains, très rustique, mais très propre. Outre l’eau de la Creuse, qui n’est pas tentant, en ce moment, la bonne femme qui dirige toute seule son exploitation possède un puits profond et abondant encore ; l’eau est belle et claire. Nous nous faisons une fête de nous y plonger demain ;