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rebelles. L’apparition d’un Européen armé cause grand émoi, « bien, dit le savant lazariste, que nous n’ayons pas l’aspect guerrier, Sambdatchiemda, l’âne et moi, chargés de paperasses remplies d’herbes, de boîtes de carton, de filets à insectes et autres objets tout aussi peu effrayans. » Néanmoins la foule curieuse s’amasse, les soldats veulent conduire au général l’étranger suspect. Celui-ci, du reste sans s’émouvoir, refuse d’obéir et ordonne même qu’on aille montrer le passeport au grand chef et qu’on revienne aussitôt. Le moyen réussit ; il faut dans ces pays-ci, remarque le père Armand David, avoir l’air de commander pour n’être pas écrasé.

Après deux semaines d’absence, le digne missionnaire retrouve intacte la petite maison de Sartchi. C’est à qui s’efforcera de faire sentir à l’entreprenant explorateur l’imprudence de s’engager au milieu de tels périls et de pareilles fatigues. Malgré tout, le naturaliste est assez content de son expédition ; il a examiné la constitution géologique d’une région assez vaste, il a pris une idée de la flore et de la faune de l’Ourato central, il a recueilli quelques animaux et bon nombre de plantes d’espèces intéressantes, et la santé n’a pas trop souffert du régime du millet et de la farine de haricots. Pendant une partie du mois de juin, l’infatigable lazariste explore les montagnes situées au-delà du Fleuve-Jaune, c’est-à-dire dans le pays des Ortous, et maintenant la chaleur est terrible, la sécheresse désole la contrée ; les cultivateurs assurent que le blé et l’orge vont être perdus. Aux environs de Sartchi, les pavots couvrent de vastes champs et les fleurs magnifiques et variées à l’infini sont d’un effet superbe ; de larges espaces sont plantés d’ail et de piment. Près des petits cours d’eau, on cultive le chou, le maïs, le sorgho, les pastèques. Au pays des Ortous, les légumineuses sont en faveur : la plaine est couverte de champs de haricots, de petits pois et de lentilles.

Une seconde excursion dans l’Ourato occidental est résolue ; il faut nécessairement visiter les restes des grandes forêts dont on parle à deux cents lieues à la ronde. Cette fois, M. Chevrier accompagnera l’abbé David ; un chameau que consent à louer le lama, ami et compatriote du fameux guide, remplacera avantageusement le petit baudet. Deux jours de pluie ont donné à la végétation une fraîcheur qu’elle avait perdue. La petite caravane presse sa marche dans le pays déjà parcouru pendant la première expédition sans échapper à la curiosité gênante et parfois à l’hostilité des habitans. Après avoir campé au sud de Hatamel, nos voyageurs cheminent dans une atmosphère brûlante à travers une grande plaine sablonneuse absolument déserte. Par bonheur, la vie animale et végétale ne manque pas dans ce désert et le naturaliste recueille des plantes et des insectes ; — les réglisses répandues en abondance permettent d’apaiser la soif ; plus tard, on passe devant des groupes de tentes