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soleil du matin, des nuées de colombes rupicoles, aisément inconnaissables à la barre blanche de la queue, disparaissent successivement dans le nord-ouest. Près de la rivière, encaissée dans une longue gorge, vient s’abattre une compagnie de bartavelles ; la belle cicogne au manteau noir, au bec et aux pieds rouges, plane à une grande hauteur. Les jujubiers, les abricotiers, les ormes rabougris, sont épars sur les coteaux arides, et seulement dans les grandes crevasses remplies par des dépôts d’alluvion se montrent des éphèdres verdoyantes, jolis arbrisseaux de la famille des conifères dont les baies ont parfois une valeur inestimable pour les voyageurs altérés qui traversent les steppes de la Mongolie.

Pour atteindre Suen-hoa-fou, l’ancienne capitale des empereurs mongols, il reste à parcourir de trente à quarante kilomètres sur une route souvent très pénible à travers les montagnes ; mais il y aura un instant de plaisir en gravissant les dernières collines : la plaine aride s’étend au loin, et l’on découvre la ville, qui ne peut manquer de produire une certaine impression, parce qu’elle rappelle des souvenirs historiques. Le père Armand David a un autre motif de joie : il y a ici une maison de missionnaires desservant les chrétientés d’alentour ; l’hospitalité la plus cordiale l’attend, les fatigues seront vite oubliées, les entretiens familiers dans la langue maternelle donneront l’illusion de la patrie retrouvée dans le désert. Le savant lazariste congédie les muletiers et se fait aisément généreux ; il est satisfait des services des hommes qui l’ont accompagné, et il est content d’être au milieu de confrères et d’amis. Suen-hoa-fou est une grande cité dont les habitans n’occupent qu’une portion, ainsi qu’il arriver dans toutes les villes déchues d’une ancienne splendeur. C’est un quadrilatère flanqué de murailles en briques qu’on a eu l’intention d’orienter sur les points cardinaux, de même que les quatre grandes portes ; seulement le résultat ne répond pas précisément à l’intention. Les principaux bâtimens sont construits en pierre de taille d’un gris violet : des basaltes remplis de petits cristaux, provenant des montagnes voisines. Un ruisseau coule près de la ville, traversant des rizières disposées en carrés comme un immense damier, et le Yang-ho passe à quelque distance vers le sud. Du côté occidental, les vents accumulent des sables contre le mur en telle abondance qu’on pénètre dans l’enceinte sans la moindre peine. Les loups et les renards profitent souvent de cette facilité pour entrer dans la ville. C’est à huit lieues environ dans le nord-ouest que se trouve, sous la dernière et véritable grande muraille, Tchang-kia-keou ou Kalgan, entrepôt d’un commerce considérable, le passage ordinaire des caravanes qui s’acheminent vers l’empire russe ou qui en reviennent. De Suen-hoa-fou, la vue s’étend au loin sur un pays d’aspect sombre. La plaine est entourée de collines crevassées et