Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gardons-nous ici de ce penchant à l’exagération, si naturel à l’esprit français, surtout au lendemain d’un revers, et quand la passion politique vient s’en mêler. Tout n’était pas défectueux dans le vaste effort qui improvisa en hiver 600,000 soldats ; à côté des misères que je n’ai pas dissimulées, il se dégageait de cet ensemble si compliqué des motifs d’espoir et des élémens de vigueur qu’il faut reconnaître et constater. Malgré les privations, le moral n’était pas atteint sérieusement. En tenant compte des défaillances partielles, il y avait dans la masse un sentiment réfléchi du devoir, un amour raisonné du pays qui, suppléant en une certaine mesure à l’imperfection de la discipline et à la faiblesse du commandement, donnait à l’armée nouvelle un degré de consistance déjà sensible, et qui, sur plus d’un point, lui a permis d’ébaucher la victoire. N’est-ce rien que cette expérience tentée dans d’aussi tristes conditions sur l’énergie de la nation ? Parmi les troupes qui ont succédé à la division Cremer, nous avons pu voir des bataillons de mobilisés, — ceux du Jura par exemple, — dont la tournure martiale et la robuste apparence offraient un coup d’œil consolant. Formés d’hommes vigoureux et de haute taille, solidement équipés, on eût trouvé difficilement dans leurs rangs quelques soldats chétifs et de petite mine. La qualité physique des troupes y était bien supérieure à notre infanterie de ligne, même régulièrement constituée.

Vers le 10 janvier, les dernières troupes de l’armée de l’est avaient quitté Dijon. On attendait l’armée des Vosges. — Forte d’environ 30,000 hommes, elle venait avec son chef occuper la ville et s’y établir pour défendre la ligne de Lyon contre les entreprises des troupes prussiennes qui, détachées du centre, filaient par Auxerre, Avallon, Montbard, Châtillon, et couraient au secours de Werder. Nous étions impatiens de voir Garibaldi. Bien qu’un peu blasés sur le pittoresque et la couleur, « les chemises rouges, » poétisées depuis vingt ans par les journaux, avaient conservé à nos yeux le prestige de la nouveauté. Ma curiosité, vivement excitée, subit pour commencer un court désenchantement. C’est l’ordinaire éclipse de l’idéal dans sa première rencontre avec la réalité. Je m’étais toujours représenté le garibaldien comme un type de la force inculte et négligée ; je me figurais que j’allais voir des visages balafrés, cicatrisés, noircis par la poudre et par l’inclémence du ciel, quelque chose de sauvage et de hérissé, sentant la guerre d’embuscade et l’existence aventurière ; je m’apprêtais à saluer des loques héroïques, ou tout au moins des habits rouges par la victoire « usés. »

Quelle ne fut pas ma surprise quand je me trouvai face à face avec le superbe état-major des légions garibaldiennes ! Frais et roses, le teint légèrement enluminé, la moustache cirée et lustrée, les officiers garibaldiens portaient avec majesté des manteaux d’é-