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ciers qui parurent à leur café le soir étaient mornes et silencieux. Pour soutenir leurs soldats qui pliaient, ils avaient dû payer énergiquement de leur personne ; le feu des Français embusqués sur les hauteurs qui dominent la ville les avait décimés. Il n’y a jamais eu de victoire aussi lugubre et d’un aspect aussi peu triomphant. Personne ne s’y trompa ; l’occupation prusso-badoise en Bourgogne se sentait frappée à mort ; ses jours étaient comptés.

Le 27 décembre, à neuf heures du matin, il n’y avait plus dans la ville un seul ennemi. On apercevait à 2 kilomètres les dernières colonnes, qui s’éloignaient dans la direction de l’est. Dijon, en s’éveillant, se retrouvait libre et redevenait français. C’était le premier résultat du mouvement. stratégique de Bourbaki. Werder, informé à temps, se dérobant au péril certain d’être enveloppé et pris, franchit la Saône, grâce à une avance de trente-six heures au plus, évacua rapidement Gray, Vesoul, Villersexel, et ne s’arrêta, comme on sait, qu’à Héricourt.

Pour nous, à qui l’avenir échappait, tout entiers au présent et à la délivrance, la scène allait brusquement changer. Tenue au secret depuis deux mois par 30,000 Allemands, la ville allait retentir pendant plusieurs semaines du défilé de 100,000 Français et Italiens. La jeune armée de la république allait déployer sous nos yeux ses uniformes bigarrés, son ardeur patriotique, ses bataillons variés et nombreux, son inexpérience en partie couverte et rachetée par sa valeur. On rentrait dans la vie, dans la noble activité du patriotisme, et, nous le pensions du moins, dans la joie durable de légitimes espérances.


II.

D’heure en heure, les présages favorables se multipliaient. Les inquiétudes, qui, après la secousse de ce bonheur inattendu, restaient au fond de notre émotion, allaient en se dissipant. Rien de ce qui annonçait la patrie recouvrée et le territoire affranchi ne nous trouvait indifférens. Les moindres objets, les plus vulgaires, dès qu’ils reparaissaient après une longue absence, transformés par nos sentimens intimes et, si je puis dire, par le ciel nouveau qui brillait sur nos têtes, avaient le don de nous intéresser et de nous plaire. Il n’était pas jusqu’à la vue des campagnards accourant en famille sur leurs charrettes, où des lourdes pataches et des omnibus rustiques venus des arrondissemens voisins, qui ne fût agréable au regard, comme un indice de renaissance et de facile circulation. Ils étaient à leur manière des courriers de bonnes nouvelles, des messagers de victoire, des hirondelles de liberté. — Vers midi, le clairon se fit entendre ; il précédait les francs-tireurs.