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pitaine, qui commandait dans la neige des soldats presque nus, exagérait sans doute un peu ; il n’en est pas moins vrai que l’Allemand, déjà si bien soigné, si largement pourvu, trouve encore en lui-même un excellent intendant du bien-être de sa personne.

Je m’arrêtais souvent à considérer, non sans un mouvement de jalousie nationale, la parfaite discipline de leurs troupes, la déférence et le respect absolu du soldat pour son chef de tout grade, son obéissance exacte et prompte, non discutée ; mais, je l’avoue, le sentiment de crainte et d’humilité trop visible qui s’emparait de l’inférieur en présence du supérieur était loin de plaire à tout le monde autour de moi, et n’enlevait pas d’unanimes suffrages. Il est certain qu’il y a dans le commandement de l’officier allemand, ou plutôt dans sa façon hautaine et cassante envers le soldat, des brutalités anti-françaises. Cet anéantissement du subalterne, l’inflexible orgueil d’une hiérarchie féodale, le mépris de l’impérissable dignité de l’homme, blessent à bon droit notre fierté innée et nos principes modernes. Ce serait pourtant la marque d’un bien pauvre jugement et d’une triste frivolité que de s’armer de l’abus d’institutions excellentes pour s’en moquer et les proscrire. Les hommes vulgaires, si prépondérans en France, ne voient dans l’obéissance passive du soldat sous les armes qu’un acte machinal, presque dégradant, une question de tenue extérieure, un moyen grossier d’ordre matériel ; ils n’en saisissent pas le sens profond et le noble principe. La discipline militaire est l’expression et comme la figure vivante de l’esprit de sacrifice, d’immolation au devoir et à la patrie, qu’on peut appeler l’âme héroïque des armées. La science du métier n’y suffit pas ; l’ordre extérieur qui en résulte est le moindre de ses effets. De là vient qu’elle est une condition essentielle et presque une certitude d’invincibilité pour les troupes dont l’énergie docile sait se plier à ses lois. Si douce que soit l’habitude de tourner en ridicule les petits côtés des grandes choses, et d’échapper par une facile critique au déplaisir d’approuver et à la peine de se corriger, en sauvant ainsi à la fois l’amour-propre et la paresse, il y a une réflexion qui doit nous avertir, un fait certain qui suffit à nous ouvrir les yeux : le soldat qui obéit le mieux chez lui est celui qui a le plus de chances de commander en pays étranger. C’est là pourtant, on en conviendra, une assez belle compensation.

Les Allemands, comme un peu plus tard les garibaldiens que j’ai vus, témoignaient d’un goût très prononcé pour la capitale de la Bourgogne. Ce séjour leur plaisait, et plus d’un ne demandait qu’à s’endormir dans un campement si doux. Impossible d’entrer dans un hôtel, à certaines heures, sans y entendre éclater les détonations des bouteilles de Champagne. Ils faisaient au noble vin de Bourgogne l’injure de lui préférer, comme disent les poètes, de